C’est un livre de référence que signe l’historien d’art Itzhak Goldberg, professeur émérite de l’université de Saint-Etienne, sur un sujet qu’il connaît bien puisque sa thèse portait sur Jawlensky. Mais l’intérêt de l’ouvrage va au-delà : il pose autant de questions qu’il en résout, la première concernant son sujet lui-même. Car traiter de l’expressionnisme est d’autant plus délicat que, si ses limites géographiques sont fluctuantes, ses frontières historiques le sont tout autant : en tant que style « outré », il existe chez Grünewald au début du XVIe siècle, chez Le Greco, dans certains Rembrandt, et chez Van Gogh que les premiers « expressionnistes » allemands, ceux du mouvement Die Brücke, revendiqueront peu ou prou.

L’auteur n’hésite pas à trouver des prolongements chez Soutine, Pollock, Matta ou Rothko, ce qui fera sans doute hurler les puristes. Auxquels on conseillera de s’arrêter sur les illustrations du livre, remarquablement démonstratives. Ainsi, la juxtaposition d’un tableau peint par Franz Marc en 1913, Les Loups (guerre des Balkans), et d’un autre réalisé par Pollock vers 1934, Composition avec cheval au centre, témoigne de similitudes incroyables.

Nietzsche en figure tutélaire

Traditionnellement, l’expressionnisme est allemand. Goldberg l’entraîne donc plus loin, vers l’Autriche ou la Belgique, mais fait la part belle aux deux mouvements qui en fondèrent l’esprit au début du XXe siècle, Die Brücke et Der Blaue Reiter. Intellectuellement, la figure tutélaire est Nietzsche. Deux images montrent le philosophe : l’une est un bois gravé par Erich Heckel en 1905, l’autre une sculpture, d’autant plus sidérante qu’on la doit à Otto Dix et que l’original a disparu en 1939. Nietzsche, dont Heckel disait qu’il était « le synonyme de la libération de la camisole de l’autorité, de la pensée matérialiste et des conventions bourgeoises » qui caractérisaient l’Allemagne de Guillaume II.

C’est la différence fondamentale entre les expressionnistes allemands et les Fauves français : ceux-là sont d’abord hédonistes et profondément bourgeois, Matisse, en tout cas – qui se revendiquait comme tel. Des Fauves qui ronronnent, quand les expressionnistes hurlent, vont s’ébattre nus dans la nature ou plonger dans le chaos urbain qu’était Berlin.

Couverture de l’ouvrage « L’Expressionnisme », d’Itzhak Goldberg. | EDITIONS CITADELLES & MAZENOD

L’Expressionnisme, d’Itzhak Goldberg, Citadelles & Mazenod, 400 p., 189 €.