Rocky Balboa cède la place à Donnie Creed, héros noir du « cinéma de l’ère Obama »
Rocky Balboa cède la place à Donnie Creed, héros noir du « cinéma de l’ère Obama »
Propos recueillis par Karim El Hadj
Régis Dubois, spécialiste du cinéma et de ses liens avec les idéologies politiques, voit dans « Creed » un film où le boxeur noir n’est ni la victime du racisme ni le faire-valoir de l’homme blanc.
"Creed : L’Héritage de Rocky Balboa", de Ryan Coogler. | MGM PICTURES & WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC
Produit dérivé de la saga des Rocky, Creed : L’Héritage de Rocky Balboa sort en salles le 13 janvier. Dans ce nouvel opus, le septième en quarante ans, le boxeur légendaire, Rocky Balboa, désormais à la retraite, prend sous son aile Adonis Johnson Creed, le fils de son meilleur ami mort lors d’un combat, Apollo Creed. Contrairement aux précédents Rocky, le personnage principal, cette fois, est noir.
Selon Régis Dubois, spécialiste du cinéma et de ses liens avec les idéologies politiques, Creed : L’Héritage de Rocky Balboa, « film de boxe de l’ère Obama », le boxeur noir n’est plus mis en scène pour évoquer la lutte contre le racisme ou servir de faire-valoir à l’homme blanc.
Quelles sont les raisons du succès de la série des Rocky ?
Régis Dubois : Avec le premier Rocky, en 1976, on assiste à l’invention du film de pugilat qui est en fait un film d’action pure tel qu’on en avait jamais fait. Avant, les films de boxe n’étaient pas axés principalement sur l’action. Par ailleurs, Rocky est précurseur des films de sport et de bagarre des années 80 comme Karaté Kid (1984) et la série des films avec Jean-Claude Van Damme. Surtout, en 1976, Rocky se démarque du Nouvel Hollywood, un mouvement cinématographique contestataire dont les réalisateurs les plus connus se nomment Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Steven Spielberg ou George Lucas. Tous dénoncent quelque chose du mode de vie américain. Mais le public finit par en avoir assez de ces films où les femmes, les noirs et les homosexuels revendiquent leurs droits. Dans ce contexte de fronde idéologique des années 1960 et 1970, le premier volet des aventures de Rocky Balboa renoue avec le film hollywoodien classique : un héros irréprochable, un « happy end ».
Rocky (1976) - Teaser Trailer
Durée : 01:37
Le succès populaire de ce cinéma classique annonce l’ère de Ronald Reagan et les valeurs du pouvoir blanc. Rocky ouvre bien la voie aux films de « cinéma reaganien » avec Rambo (1982), Commando (1985), Invasion USA (1985), Delta Force (1986), Cobra (1986), Die Hard (1988)… En 1976, Rocky Balboa, le boxeur italo-américain, s’incline devant Apollo Creed, dont le personnage ressemble à Mohamed Ali. Dans le deuxième volet de la saga, réalisé en 1979, Rocky terrasse Apollo, un an avant que Reagan s’installe à la Maison Blanche. L’incarnation du pouvoir de l’homme blanc américain est lisible jusqu’à Rocky IV (1985) dans lequel Balboa écrase le capitaine Ivan Drago (Dolph Lundgren), représentation de l’ennemi soviétique et meurtrier d’Apollo Creed, devenu l’ami noir du héros blanc.
Rocky IV (1985) - Movie Trailer [HD]
Durée : 02:07
En quoi les premiers Rocky, à la différence du dernier opus, soulignent-ils un antagonisme entre l’homme noir et l’homme blanc ?
Pendant très longtemps, il y a eu deux types de personnages noirs dans le cinéma américain : le « bon noir », type sympathique et inoffensif, et le « mauvais noir » figure du sauvage, vicieux et violent. Dans la saga des Rocky ces deux types de personnages noirs sont présents. Apollo Creed incarne successivement le « mauvais noir » puis le « bon noir » à partir du moment où il devient l’ami de Rocky. Quant à Laurence Tureaud dit Mister T alias Clubber Lang dans Rocky III (1982), il incarne le « mauvais noir ». Ses bijoux, sa coupe iroquoise font penser aux « indiens » qui peuplaient l’Amérique avant l’arrivée des colons. Mais Clubber Lang est surtout l’archétype du noir du ghetto, type en colère, sans raisons claires. De plus, Sylvester Stallone, réalisateur de Rocky III, utilise Clubber Lang pour incarner le fantasme de l’hyper-sexualité du Noir, menace pour l’homme blanc qui y voit le risque du métissage, quand il lance à Adrian, l’épouse du champion blanc qui refuse le combat : « Vu que ton mec est un dégonflé pourquoi t’essaies pas un vrai mec ? »
Rocky III (1982) Official Trailer
Durée : 02:31
La première figure du noir comme héros positif dans les films de boxe arrive avec L’Insurgé (The Great White Hope, 1970) réalisé par Martin Ritt. Le film raconte l’histoire de Jack Johnson, boxeur important des années 1910, victime du racisme. Il est notable que dans la plupart des films qui ont pour héros positif un boxeur noir, le ring est le lieu d’un combat symbolique contre le racisme. C’est vrai de Ali (2002) de Michaël Mann avec Will Smith ou de Hurricane Carter (1999) de Norman Jewinson avec Denzel Washington.
Creed : L’Héritage de Rocky Balboa, révèle-t-il une perception nouvelle de l’homme noir américain depuis l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche ?
Ce qui est remarquable avec les sept Rocky, tournés sur quarante années, c’est que chaque épisode est vraiment raccord avec son époque. Creed : l’Héritage de Rocky Balboa est un film ancré dans l’ère Obama. D’abord, ce n’est plus Rocky le premier nom dans le titre mais Creed, le nom du héros noir. Ensuite, c’est un film réalisé par un noir, Ryan Coogler. C’est donc bien un film de l’ère Obama, un film de l’Amérique post-raciale où le boxeur noir n’est plus mis en scène pour évoquer la lutte contre le racisme. Dans le film de Ryan Coogler, le jeune héros noir accède au statut de champion parce qu’un Blanc, un vieil italo-américain nommé Rocky Balboa, lui passe le relais.
CREED : L'héritage de Rocky Balboa - Bande annonce (Michael B. Jordan, Sylvester Stallone 2016)
Durée : 02:42
Je fais un rapprochement avec un autre film de l’ère Obama, le dernier Star Wars où un des héros importants de l’histoire est un Noir. Cette situation nouvelle plonge ses racines dans la fiction américaine des années 2000 où, de plus en plus souvent, les Noirs ne jouent plus des rôles de « Noirs ». Ils peuvent incarner un président comme dans la série 24 Heures Chrono et même l’amant d’une femme blanche, un cas de figure problématique dans les années 1990. Un autre signe du cinéma de l’ère Obama, c’est l’incarnation dans le film Les 4 Fantastiques, sorti en 2015, du super-héros dénommé La torche, d’abord personnage blanc dans la bande-dessinée de Marvel mais interprété par un acteur noir. Et en 2018, Black Panther, un super-héros noir, sortira en salle. C’est aussi Ryan Coogler, le réalisateur de Creed, qui signe ce film. On voit bien qu’en cette période, les femmes et les Noirs ont le droit à de vrais rôles positifs qui ébranlent les bastions du héros blanc et masculin qui peuple Rocky, Star Wars et Superman. C’est ça l’héritage cinématographique de l’ère Obama.
Régis Dubois, docteur en cinéma, a notamment publié Le Cinéma des Noirs américains (Le Cerf/Corlet 2005), Une histoire politique du cinéma (Sulliver, 2007) et Hollywood, cinéma et idéologie (Sulliver, 2008). Il a écrit dans Télérama, Le Monde Diplomatique, Manière de Voir, L’Œil, Contretemps, Brazil, Tausend Augen ou Africultures. Réalisateur et enseignant en cinéma et audiovisuel, il forme des étudiants en bachelor et en BTS.