« Ava » : brûler sa vie avant de perdre la vue
« Ava » : brûler sa vie avant de perdre la vue
Par Isabelle Regnier
Pour son premier long-métrage, Léa Mysius brosse le portrait d’une adolescente idéaliste, gagnée par la cécité.
Inconnue jusqu’à cette année, Léa Mysius a réussi son entrée dans le monde du cinéma lors du dernier Festival de Cannes. Présente au côté d’Arnaud Desplechin, avec qui elle a coécrit Les Fantômes d’Ismaël, cette jeune femme de 28 ans, diplômée de la Fémis en 2014, a fait sensation à la Semaine de la critique avec Ava, son premier long-métrage de réalisatrice. La beauté brûlante de Noée Abita, sa vibration fougueuse, qui tend le film comme un arc, y compris dans les moments où il faiblit un peu, a cristallisé l’attention.
Mais, au-delà de sa présence, il faut reconnaître que ce portrait de jeune fille délibérément antinaturaliste imprime durablement la rétine. Avec ces silhouettes noires brillantes, étrangement inquiétantes, qui se détachent sur des aplats de couleurs éclatantes, il traduit un rapport à la mise en scène, gourmand et conquérant, ludique et décomplexé. Un désir d’affirmer sa place en effeuillant l’histoire du cinéma, distillant ici un soupçon de Pierrot le fou, là quelques gouttes de La Balade sauvage, tout en flirtant avec l’esthétique du clip…
Sa colère et son désir
Ava a 13 ans, et on lui apprend qu’elle va perdre la vue. Dès lors, elle agit comme si elle n’avait rien à perdre, brûlant la vie, n’écoutant plus que sa colère et son désir. L’action se passe au mois d’août, sur fond de mer et de ciel bleu azur, dans une station balnéaire non identifiée du sud de la France. Un parti politique fascistoïde vient de prendre le pouvoir, ce que suggère l’apparence des deux agents de la police montée qui arpentent silencieusement les rues de la ville.
Un étrange chien noir qui déambule au milieu des vacanciers avachis sur la plage porte en lui une forme de menace, qui résonne avec le mal qui frappe les yeux d’Ava autant qu’avec les émanations mortifères du monde déliquescent qui l’a vue naître. « J’ai peur de mourir sans jamais rien avoir vu de beau », dit-elle dans le journal intime qui scande le temps du film, mesurant jour après jour la réduction de son champ de vision.
La pusillanimité de sa mère (excellente Laure Calamy), femme dépourvue d’orgueil et d’ambition, plus préoccupée de se dégoter un amant que de l’angoisse qui torture sa fille, attise une rage mauvaise qu’Ava retourne à l’envoyeur, tandis qu’elle développe une obsession pour le propriétaire du chien noir, Juan, un Gitan magnifique au charme sulfureux.
Une forme de désarroi
« Ava, ça veut dire “je désire”. Mais je désire quoi ? », dit la jeune fille. Cette question qui était au cœur de Nocturama, de Bertrand Bonello, et plus récemment de L’Atelier, de Laurent Cantet (sortie prévue le 11 octobre), exprime une forme de désarroi propre à la jeunesse d’aujourd’hui, suffoquant faute d’avoir jamais décelé le moindre horizon pour son avenir.
La manière dont la cinéaste articule la question de la sexualité et du désir – d’autant plus intense que la maladie menace de plonger son héroïne dans une interminable nuit – avec celle de l’acculturation générale, d’une forme de misère sociale et morale, et du FN qui prospère sur ce terreau, est riche de promesses. Comme l’est la crudité avec laquelle ce personnage exprime sa haine, son désir, sa peur – qui rappelle un peu, sans que les films se ressemblent, la frontalité avec laquelle Julia Ducournau abordait la sexualité féminine dans l’excellent Grave.
Mais, alors qu’à l’issue d’un long ballet, animal et violent, Ava et Juan finissent par sceller un pacte d’amour sublime, cette dialectique s’effiloche jusqu’à se dissoudre dans les conventions balisées du film d’apprentissage. Cette atmosphère qui avait été si talentueusement installée n’était-elle alors que poudre aux yeux ? Ou signait-elle vraiment la naissance d’une cinéaste ? Pour avoir un début de réponse, il faudra attendre le prochain film de Léa Mysius.
AVA - Bande annonce officielle - Au cinéma le 21 juin 2017
Film français de Léa Mysius. Avec Noée Abita, Laure Calamy, Juan Cano (2 h 05). Sur le Web : www.bacfilms.com/distribution/film/AVA