« Taxi Tigui », la minisérie malienne qui cartonne
« Taxi Tigui », la minisérie malienne qui cartonne
Par Anthony Fouchard (contributeur Le Monde Afrique, Bamako)
Après l’immense succès des deux premières saisons, cap sur 44 nouveaux épisodes. Politique, argent, religion : les créateurs ne s’interdisent aucun sujet, à condition qu’il y ait de l’humour.
Au volant de son taxi, F-One, interprété par Koman Diabaté, fulmine. Il est tombé en panne au beau milieu de la circulation, créant un embouteillage monstre dans les rues de Bamako. Un conducteur de « Jakarta » – scooters importés d’Indonésie qui pullulent dans la capitale malienne – s’arrête et propose de pousser le taxi à l’aide de son engin. D’abord dubitatifs, F-One et son passager finissent par atteindre les 120 km/h et supplient le pilote fou de ralentir. Ce genre de situation incongrue, volontairement caricaturale, a fait le succès de Taxi Tigui.
La série, diffusée sur l’ORTM, la télévision nationale malienne, est unique en son genre et détonne face aux telenovelas qui inondent les bouquets télévisuels du pays. « Ce principe de comédie courte était un genre inconnu ici à Bamako, avant Taxi-Tigui », précise Toumani Sangaré. A 36 ans, ce réalisateur franco-malien touche-à-tout n’en est pas à son coup d’essai. Il est l’un des fondateurs de Kourtrajmé, ce collectif de vidéastes qui a vu débuter Romain Gavras ou Mouloud Achour. En 2000, il s’installe à Bamako, fonde Kourtrajmé Africa et une société de production, BanKO, avec Nicolas Frébault, journaliste et réalisateur. Après deux premières saisons à succès, le duo signe à nouveau pour 44 épisodes à bord du taxi cabossé de F-One.
« Caricaturer la réalité »
« Ces situations, c’est ce que vous expérimentez tous les jours à Bamako, plaisante Cheick Nito, l’un des acteurs. Ici, au Mali, tout le monde prend ce moyen de transport, qu’il soit pauvre ou riche. Le chauffeur entend tout et a un avis sur tout. » Le taxi bamakois, c’est un peu le salon de coiffure français.
Toumani Sangaré explique aimer « caricaturer la réalité, mais surtout aborder tous les sujets de société. La politique, l’argent, la religion, on ne s’interdit rien ». Seule condition, l’humour, pour faire passer des messages en un peu moins de trois minutes par épisode. Un peu comme cette sommation du chauffeur, devenue un gimmick, quand il intime au passager de mettre sa ceinture de sécurité. Un geste loin d’être répandu à Bamako.
TAXI TIGUi - Épisode 1
La grande salle d’exposition du Musée national a été transformée en studio de cinéma. Le taxi trône au milieu de la pièce entouré d’immenses fonds verts. La particularité de la série est qu’elle est tournée entièrement en studio. L’équipe de BanKO a sillonné et filmé les rues de la capitale et ces images sont ensuite incrustées en postproduction. « Cela nous donne une grande marge de créativité et c’est plus confortable et moins cher que de tourner en ville. Il aurait fallu une voiture travelling, un plateau… Ce n’était pas dans nos moyens », précise Toumani Sangaré.
Imagination débordante
La production de 44 épisodes, soit deux saisons, coûte environ 40 millions de francs CFA (61 000 euros), estime Nicolas Frébault. Un « petit budget » comparé aux autres productions télévisuelles. « On a une dizaine de comédiens, une équipe technique, ça fait du monde. Mais ce principe de tournage sur fond vert permet de maintenir les coûts à un niveau correct. » Il laisse surtout le champ libre à l’imagination débordante des scénaristes qui promettent un taxi volant au-dessus de Bamako et des épisodes de « Taxi Tigui » avec Paris en fond d’écran.
Koman Diabaté, alias F-One, à l’intérieur du taxi, et Toumani Sangaré, le réalisateur. | Anthony Fouchard
Le succès de la série repose surtout sur l’utilisation du bambara, explique Koman Diabaté : « Jouer dans la langue locale facilite la diffusion et la compréhension auprès des téléspectateurs. Mais ça permet aussi aux acteurs d’être beaucoup plus créatifs et d’improviser. » Si les scénarios sont écrits à l’avance, libre aux comédiens de sortir un peu du canevas si cela améliore le sketch.
La série est devenue un phénomène de société, elle « cartonne auprès des ménagères », rigole Toumani Sangaré. Difficile d’être plus précis car il n’existe pas de mesures d’audiences fiables au Mali. Si le succès se confirme, les producteurs envisagent d’exporter le concept dans d’autres pays.