Le vade-mecum du parfait député
Le vade-mecum du parfait député
Par Hélène Bekmezian
Mardi 27 juin s’ouvre la XVe législature de l’Assemblée nationale. A cette occasion, 415 néodéputés feront leur entrée dans l’Hémicycle.
Une députée dans le jardin de l’Assemblée nationale, le 19 juin | Julien Muguet pour Le Monde
Il y a d’abord eu la bataille de l’investiture à mener, puis celle de la campagne, cette longue campagne si éreintante avant deux tours d’élection présidentielle puis deux autres de législatives jusqu’à, enfin, la victoire pour les nouveaux élus de la XVe législature, qui feront leur rentrée mardi 27 juin. L’heureux primo-député qui foulera alors pour la première fois le sol marbré de l’Hémicycle pourrait être légitimement tenté de vouloir souffler un peu, de se dire que le plus dur est désormais derrière lui. Mal lui en prenne ! C’est précisément là où se trouve le premier piège de cette période inédite qui s’ouvre pour 415 représentants de la Nation, vierges de toute expérience parlementaire – anciens assistants parlementaires mis à part.
Avec un taux de renouvellement de 72 %, rares sont les anciens encore présents dans les murs pour prodiguer leurs conseils d’experts aux bleus. Ecueils à éviter, bonnes pratiques à adopter sans tarder, précautions essentielles… Autant de savoir-faire et savoir-être que les élus ne trouveront pas dans le règlement qui leur a été remis à leur arrivée.
« N’attendez pas »
« On arrive tout content, un peu béat, mais en huit jours tout est décidé, tout se fait dans la précipitation, on vous demande de faire des choix, de voter pour des présidents de groupe, de commission… Quand vous êtes nouveau, vous avez le réflexe de faire confiance aux anciens et ce n’est qu’après que vous vous rendez compte que vous vous êtes fait avoir », se remémore l’ex-député socialiste Christophe Caresche, vingt ans après ses premiers pas à l’Assemblée.
« Toute la vie du mandat parlementaire à venir se décide dans les 10 à 15 premiers jours », confirme Marie-Françoise Clergeau qui a eu la chance d’être parrainée en 1997 par Jacques Floch, député (PS) sortant réélu dans son département de Loire-Atlantique. Pour assurer à son tour la transmission, la désormais ex-députée a cofondé en février une association d’anciennes élues, à destination prioritaire des femmes.
On l’a vu, les tractations pour former les groupes parlementaires ont démarré dès le lendemain du second tour et avec elles les discussions pour les postes clé : la présidence du groupe mais aussi, de manière plus discrète, les postes de vice-président, de porte-parole, de trésorier, dont on ne sait jamais trop à l’avance s’ils seront source d’ennuis ou de satisfaction. Certaines subtilités, forcément, échappent aux novices : pourquoi, par exemple, le groupe Les Républicains dit « constructifs » qui s’affiche pourtant en soutien du gouvernement se déclare-t-il en groupe d’opposition ? Eh bien parce que la présidence de la commission des finances échoit à un membre de l’opposition, le genre de chose qu’on ne maîtrise pas forcément en arrivant…
Il y a la présidence de l’Assemblée bien sûr, qui de toute façon ne reviendra jamais à un néo-député mais il y a aussi six vice-présidences à pourvoir, douze secrétariats et trois postes de questeurs. « Tout se distribue entre gens connaissant le système et à ce jeu-là les hommes sont plus organisés tandis que les femmes, souvent, n’osent pas », regrette Mme Clergeau qui fut la première femme à occuper le poste de premier questeur, en 2016. A la quarantaine de nouvelles élues avides de conseils venues la voir dans l’appartement de la questure qu’elle occupait encore la semaine dernière, elle a fait la même recommandation : « Postulez aux postes qui vous intéressent, n’attendez pas qu’on vous les propose, car cela ne viendra pas. »
C’est la « paralysie du débutant » contre laquelle met en garde Claude Bartolone, président (PS) sortant de l’Assemblée nationale et retraité de la politique après trente-six ans au Palais-Bourbon : « Il faut rentrer tout de suite dans le dur, ne pas assister à la vie parlementaire comme spectateur. »
« S’approprier les lieux »
Des problématiques très pratiques vont vite saisir les nouveaux, et les enjeux qui vont avec leur échapperont souvent. Se battre pour sa place dans l’Hémicycle ? Seuls les plus rusés auront compris que les sièges proches des micros sont les plus demandés, car ils offrent plus de chance d’apparaître dans le champ d’une caméra pendant les séances de questions au gouvernement. Les rangs d’en bas permettent certes d’être au plus près des ministres mais ceux d’en haut assurent plus de discrétion, pour s’échapper d’un débat par les portes fondues dans le décor, comme aimait à le faire François Bayrou quand il était député (MoDem), ou pour lancer des invectives en tout genre pendant les questions au gouvernement.
C’est pourquoi l’ex-patron des lieux, Claude Bartolone, donne ce conseil tout bête aux arrivants : « Commencez par visiter les lieux. » « Il faut pouvoir se repérer pour comprendre comment cela fonctionne, s’approprier la maison, se familiariser avec les couloirs circulaires du Palais-Bourbon », qui donnent immanquablement le tournis les premiers temps. Au cours de l’été suivant les législatives, il est courant de voir de jeunes élus désorientés traverser une fois, deux fois, trois fois la salle des Quatre-Colonnes et se retrouver nez à nez avec des journalistes alors que tout ce qu’ils voudraient, eux, c’est retrouver le chemin qui mène à leur bureau…
La répartition des bureaux, justement, est une autre considération apparemment prosaïque qui pourtant donne lieu à des batailles épiques tous les cinq ans. Dans le grand mercato immobilier qui rebat les cartes entre opposition et majorité, certains exigent à tout prix un bureau au sein du Palais-Bourbon, pour le prestige et la proximité avec l’Hémicycle ; mais les anciens savent que la plupart de ces bureaux sont en réalité fort peu confortables, vétustes, souvent froids l’hiver et très chaud l’été. Ils leur préféreront la modernité de ceux du 3, rue Aristide-Briand (le « 3AB » de son petit nom), à quelques mètres du Palais, ou du 101, rue de l’Université où se trouvent les bureaux équipés de lits. Quant aux plus lumineux et avec la plus belle vue, que les nouveaux n’y comptent même pas, ils iront directement aux anciens ministres ou anciens présidents de commission…
« Apprendre à être autonome »
Dans une maison qui s’apparente parfois à un pensionnat, où l’on travaille autant que l’on vit, le voisinage est essentiel. C’est avec le député du bureau d’à côté que l’on nourrira en premier des ententes, des complicités, des arrangements… En 2007, Claude Bartolone et Jean-Christophe Cambadélis s’étaient retrouvés l’un en face de l’autre, séparés d’un simple couloir. C’est notamment de cette proximité qu’est né ce qui deviendra les « reconstructeurs », cette alliance des fabiusiens (emmenés par Bartolone) et des strauss-kahniens (avec Cambadélis) qui a porté Martine Aubry à la tête du Parti socialiste en 2008. Les liens qui pourront se nouer dès le début du mandat seront d’autant plus importants dans un groupe majoritaire qui n’a quasiment pas de culture commune au-delà de la personne d’Emmanuel Macron.
La discipline de groupe et le sens du collectif seront nécessaires pour le bon fonctionnement de la majorité mais « il faudra apprendre à être autonome, indépendant, se souvenir que l’on est député de la Nation et non d’un parti », met en garde l’écologiste Noël Mamère. S’il n’a jamais renié sa liberté de parole durant ses quatre mandats de député, il reconnaît que cela n’a pas toujours facile. « L’Hémicycle est un endroit tout petit où les sièges sont à portée de baffe. Ceux qui voudront se distinguer du groupe devront assumer leur position en passant devant les regards noirs de leurs camarades », prévient-il, parlant d’expérience.
Lorsqu’il s’est opposé aux tests génétiques sur les migrants que voulait mettre en place Nicolas Sarkozy, en 2007, Jean Leonetti ne s’est pas fait que des amis au sein de sa famille politique. Pourtant, le député LR a tenu bon et assure aujourd’hui que cela a, au final, contribué au recul du chef de l’Etat sur le sujet. « Il faut arriver à se faire une opinion lucide, sortir du clivage manichéen. La critique est d’autant plus entendue quand elle est spécifique et argumentée », fait valoir celui qui se consacre désormais à sa mairie d’Antibes.
« Accrochez-vous »
Comme quasiment tous les députés ayant fait au moins un mandat, Jean Leonetti a un conseil majeur à livrer aux nouveaux : ne pas s’éparpiller. « Le piège est de vouloir tout faire, s’intéresser à tous les problèmes. Il faut garder une vue sur tout et en même temps être spécialiste d’une thématique pour être performant et précis. » L’élu des Alpes-Maritimes est l’illustration parfaite de son propre conseil : il est l’un des rares députés à avoir apposé son nom sur une loi (celle sur la fin de vie adoptée en 2005) et est devenu par la suite la référence au Parlement sur toutes les questions de bioéthique.
S’accrocher à une seule thématique permet aussi de lutter contre le plus grand mal qui menace les députés du groupe majoritaire à l’Assemblée, la frustration. Noyé dans une majorité très confortable (18 voix au-dessus de la majorité absolue), les députés de La République en marche risquent de très vite se poser la question de leur utilité et de leur réelle marge de manœuvre. « Il faut s’accrocher, être présent, passer beaucoup de temps à l’Assemblée et donc en perdre, se montrer opiniâtre », recommande M. Caresche.
Mais la déperdition est quasiment inévitable : dans un groupe majoritaire, regrette l’ex-député de Paris, « il y a toujours une partie qui lâche assez vite, car les efforts que l’on vous demande ne sont pas toujours gratifiants ». Au revoir Paris, bonjour la circonscription où la tentation du repli se fait de plus en plus pressante à mesure que le mandat avance et que les choses se compliquent dans la capitale. Le fait que nombre de députés de cette législature soient peu implantés localement, face à un réseau d’élus bien installés et potentiellement hostiles, amplifiera-t-il le mouvement ou produira-t-il l’effet inverse ? Une chose est sûre, le chaudron de l’Assemblée bouillonnera encore plus que d’habitude, car, pour la première fois avec l’instauration de la règle du non-cumul, les députés n’auront plus que ce seul mandat pour exister.