« Football Leaks », une tempête mondiale
« Football Leaks », une tempête mondiale
Par Rémi Dupré
L’agent portugais Jorge Mendes a été mis en examen, mardi, par la justice espagnole dans le cadre du scandale d’évasion fiscale impliquant ses clients.
La star portugaise Cristiano Ronaldo, le 24 juin. | KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP
Mardi 27 juin, l’agent portugais Jorge Mendes a été mis en examen après avoir été entendu par la justice espagnole dans le cadre du scandale d’évasion fiscale « Football Leaks ». Cette audition, programmée au tribunal d’instance de Pozuelo (Madrid), est intervenue alors que plusieurs prestigieux clients de l’influent imprésario, dont ses compatriotes Cristiano Ronaldo et José Mourinho, sont ciblés par le parquet de Madrid pour « fraude fiscale ». Retour sur ce scandale planétaire aux multiples ramifications.
. Quels systèmes ont été mis au jour ?
Le 2 décembre 2016, le consortium de journalistes d’investigation European Investigative Collaborations (EIC), auquel appartient le site français Mediapart, entame la publication des « Football Leaks ». Ces révélations sont fondées sur les données informatiques (1 900 gigaoctets), recueillies par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. A partir de 18,6 millions de documents confidentiels (comptes bancaires, e-mails, contrats, immatriculations de sociétés, factures, audits), l’EIC a mis au jour de nombreuses pratiques obscures du « foot business ». Une enquête qui s’apparente à une plongée dans les arrière-cuisines peu reluisantes du ballon rond.
« Evasion fiscale, paradis fiscaux, blanchiment, conflits d’intérêts, commissions occultes pour faciliter les transferts de footballeurs, exploitation des joueurs mineurs, agents sans foi ni loi, financiers aux connexions mafieuses : nos données racontent l’histoire d’un sport rongé par la fièvre du profit, devenu un business ultraspéculatif où tous les moyens sont bons pour grappiller de l’argent », résume Mediapart.
. Quelles sont les personnalités mises en cause ?
Jorge Mendes : agent numéro un du football mondial, Jorge Mendes, 51 ans, est accusé d’avoir mis en place un montage offshore d’évasion fiscale. Initié au profit de sept de ses clients, ce « système » a ainsi permis de cacher 188 millions d’euros de revenus de sponsoring au fisc, via un réseau de sociétés écrans et de comptes offshore en Irlande, en Suisse, aux îles Vierges britanniques (BVI) et au Panama.
L’enquête de l’EIC pourrait bien ternir une bonne fois pour toutes l’image, déjà trouble, de l’imprésario portugais, qui aurait amassé 72,7 millions de dollars de commissions sur des transferts en 2016, selon Forbes. Avec sa compagnie fondée en 1996, la Gestifute, Jorge Mendes représente les intérêts de plus de quatre-vingt-dix joueurs et entraîneurs. En 2016, son portefeuille de clients était estimé à 727 millions de dollars. Selon Mediapart, Gestifute a engrangé 37,8 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014, pour un résultat d’exploitation de 27,6 millions d’euros.
. Cristiano Ronaldo : principal client de Mendes, l’attaquant portugais du Real Madrid est accusé par l’EIC d’avoir dissimulé, depuis 2008, 149,5 millions d’euros dans des paradis fiscaux grâce au système mis en place par son agent, en Suisse et aux îles Vierges britanniques. En juin, le consortium assure que « CR7 » a fraudé au fisc espagnol « à hauteur de 14,7 millions d’euros », entre 2011 et 2014, notamment par le biais d’une société offshore baptisée Tollin, immatriculée aux BVI.
Jorge Mendes, le 27 juin, avant son audition par la justice espagnole. | PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP
Ces révélations valent au quadruple Ballon d’or d’être convoqué par la justice espagnole, le 31 juillet, en vue d’une mise en examen. Le parquet de Madrid soupçonne « CR7 », 32 ans, d’avoir « profité d’une structure créée en 2010 pour dissimuler, de 2011 à 2014, au fisc des revenus générés en Espagne par les droits à l’image ». Dans ce contexte incendiaire, la star aurait fait part à ses coéquipiers de sa volonté de quitter le Real Madrid, avec lequel il est sous contrat jusqu’en 2021. En mai, son rival argentin Lionel Messi avait été condamné par le parquet de Barcelone à vingt et un mois de prison pour fraude fiscale. Cette peine a été remplacée par une amende de 400 euros par jour, étalée sur cette période.
. José Mourinho : autre client prestigieux de Mendes, l’entraîneur portugais de Manchester United, José Mourinho, est également visé par une plainte du parquet espagnol pour une fraude fiscale présumée de 3,3 millions d’euros. Selon le parquet, la fraude s’élèverait à 1,6 million d’euros en 2011 et 1,7 million d’euros en 2012, deux exercices pendant lesquels le « Special One », 54 ans, était l’entraîneur du Real Madrid (de 2010 à 2013). Dans un communiqué, Gestifute a assuré que le technicien avait « régularisé » sa situation auprès du fisc espagnol.
José Mourinho, en septembre 2016. | Tim Ireland / AP
. Des stars de la Ligue 1 : capitaine de l’AS Monaco, tout juste sacré champion de France, le Colombien Radamel Falcao, 31 ans, figure parmi les clients de Mendes accusés d’évasion fiscale. Le parquet de Madrid a déclenché en mai des poursuites contre « El Tigre », ancien joueur de l’Atlético Madrid (2011-2013), soupçonné de fraude fiscale à hauteur de 5,6 millions d’euros. C’est d’ailleurs dans le cadre de ce dossier que son agent portugais a été mis en examen, mardi 27 juin.
Enrôlée à prix d’or (63 millions d’euros) par le Paris-Saint-Germain en 2015, la star argentine Angel Di Maria fait également partie de la clientèle de Mendes. Ancien joueur du Real Madrid (2010-2014), l’ailier vient de sceller un accord avec le parquet espagnol relatif à une fraude fiscale de 1,3 million d’euros (636 000 euros en 2012 et 662 000 euros en 2013).
Selon l’AFP, le parquet de Madrid et les représentants de Di Maria se sont entendus pour que le joueur reconnaisse sa culpabilité et verse environ 2 millions d’euros. L’attaquant écoperait ainsi d’une peine de seize mois de prison qu’il ne devrait pas purger. Selon le parquet, Di Maria (29 ans) était accusé d’avoir cédé ses droits à l’image à une société basée au Panama. Ces droits ont ensuite été transférés à la société MIM, implantée en Irlande.
Paul Pogba, le 24 juin. | JOAQUIN SARMIENTO / AFP
. Paul Pogba et son agent Mino Raiola : joueur le plus cher du monde, le milieu des Bleus Paul Pogba voit son patronyme apparaître dans les « Football Leaks ». C’est son puissant agent, l’Italo-Hollandais Mino Raiola, qui est éclaboussé. Selon l’EIC, la FIFA a enquêté sur le transfert record (105 millions d’euros + 5 millions d’euros de bonus) de Pogba, à l’été 2016, de la Juventus Turin à Manchester United.
Raiola est soupçonné de conflit d’intérêts dans cette opération, en étant à la fois l’agent de la Juventus, de Manchester et du joueur. « Pogba a coûté, en réalité, 127 millions d’euros à Manchester United, dont 49 millions ont atterri dans les poches de Raiola, et seulement 78 millions dans les caisses de la Juve », fait savoir Mediapart, en mai. Selon le site d’investigation, Raiola « ne semble pas avoir déclaré à Manchester qu’il travaillait aussi pour la Juventus », ce qui est interdit par la réglementation anglaise.
« Une procédure disciplinaire a été ouverte contre la Juventus Turin », a récemment déclaré la FIFA, précisant qu’« aucune procédure n’a été ouverte contre Manchester United ».
. Gérard Lopez : En janvier, France 3 Nord-Pas- de- Calais, Mediacités et Mediapart ont révélé que l’homme d’affaires Gérard Lopez s’apprêtait à racheter le Lille LOSC par le truchement d’une société immatriculée aux BVI. Ladite société, Chimera Consulting, immatriculée à Hongkong, appartiendrait à une société offshore nommée Incredible Wealth (incroyable richesse), enregistrée aux îles Vierges britanniques. En juin, le budget prévisionnel du club, présenté l’homme d’affaires hispano-luxembourgeois, a été validé par la Direction nationale de contrôle de gestion, le gendarme financier du foot français.
. David Beckham : retraitée des terrains depuis 2013, la star anglaise David Beckham voit sa réputation ternie par les « Football Leaks ». Selon l’EIC, l’ex-joueur de Manchester United, du Real Madrid et du PSG aurait refusé d’alimenter le projet Fonds 7, créé en février 2015 par les Nations unies pour l’enfance (Unicef). D’après Mediapart, David Beckham s’est même employé à limiter ses dons. « Je n’ai pas envie de le faire, et je ne le ferai pas avec mon argent », aurait-il même glissé au directeur de l’agence Doyen Global, Simon Oliveira, qui gère ses intérêts.
. Quelles sont les conséquences en France et en Europe ?
A la suite des révélations de l’EIC, le parquet national financier (PNF) a annoncé l’ouverture, en décembre 2016, d’une enquête préliminaire pour « blanchiment de fraudes fiscales aggravées ». Elle a été confiée à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) et concerne des « faits susceptibles de concerner des résidents fiscaux français », selon le PNF.
En mai, les agents de l’OCLCIFF ont mené des perquisitions au siège social du PSG ainsi qu’au domicile d’Angel Di Maria et de son coéquipier argentin Javier Pastore. D’après un document publié le 10 mai par Mediapart, le club parisien – via son numéro 2 Jean-Claude Blanc – a conclu un contrat, en août 2015, avec une société offshore au Panama, Sunpex, qui gère les droits à l’image d’Angel Di Maria. Le contrat prévoit que le club touche une part de l’argent versé par les marques et les sponsors, selon le site d’information.
Angel Di Maria aurait touché au travers de ce montage offshore, entre 2013 et 2016, au moins 5,1 millions d’euros, via un compte en Suisse détenu par Sunpex. Quant à Javier Pastore, il aurait reçu, entre 2013 et 2015, 1,9 million d’euros de la marque américaine Nike par le truchement d’une société offshore en Uruguay.
Sur le plan politique, la commission européenne a décidé de se pencher sur cette problématique de l’évasion fiscale dans le football et au-delà. Elle souhaite contraindre banquiers, avocats et autres consultants, voire leurs clients, à déclarer au fisc du pays où ils résident les mécanismes d’optimisation qu’ils ont échafaudés. Et ce, afin de contraindre les acteurs du foot à ne plus dissimuler les gains de leurs droits à l’image à travers une société écran, établie dans un paradis fiscal.
Avant d’entrer en vigueur, le 1er janvier 2019, ce projet de directive de la Commission européenne doit encore être approuvé et éventuellement amendé par les 28 Etats membres de l’UE et le Parlement européen.