Terminus pour la Palombe bleue, le train de nuit Paris-Tarbes-Hendaye
Terminus pour la Palombe bleue, le train de nuit Paris-Tarbes-Hendaye
Par Camille Bordenet
Après plusieurs décennies d’allers-retours entre Paris et le Pays basque, cet Intercité nocturne s’arrête de circuler samedi 1er juillet, veille de la mise en service de la LGV Bordeaux-Tours.
Lors de son dernier voyage avec sa Palombe bleue, il y a six mois, Marilyne Maigrat, 41 ans, a tenu à immortaliser ce moment. | Droits réservés / Marilyne Maigrat.
« Tchac-tchac », « tou-doum »… les onomatopées varient au gré des témoignages mais tous ceux qui l’ont emprunté racontent avec le même attachement le roulis métronomique de la Palombe bleue, le train dans lequel ils s’endormaient pour rejoindre la capitale ou retrouver leur Pays basque natal. Il quittait Paris à 21 h 52 et traversait le Sud-Ouest. Arrivée à Hendaye, près de la frontière espagnole, vers 9 h 24.
Après plusieurs décennies d’allers-retours, cet Intercité de nuit s’apprête à connaître, samedi 1er juillet, le même sort que ses semblables, dont l’Etat avait annoncé l’été dernier la fermeture par phases, faute de rentabilité – seules les lignes Paris-Briançon et Paris-Latour-de-Carol subsisteront. Au lendemain du terminus de la Palombe bleue, sera sifflée la mise en service de la ligne à grande vitesse (LGV) Bordeaux-Tours, qui mettra Paris à 2 h 04 de Bordeaux – au lieu de 3 h 14.
Mais les voyageurs qui lui sont attachés ont bien du mal à se résoudre à son destin annoncé de Belle aux bois dormant ferroviaire. Répondant à un appel à témoignages, plus d’une centaine d’entre eux nous ont raconté ce qui les lie à ce train nocturne. Bien sûr, il y a la part de nostalgie. Mais pas seulement.
A 7 h 20 gare d’Austerlitz, du sable entre les orteils
Aux travailleurs et aux étudiants qui l’empruntaient encore récemment, ce train permettait de « tirer le week-end jusqu’à ses limites », repousser le départ après un « magret frites » en famille ou un dernier bain dans l’océan. Tout en arrivant à l’heure le lundi matin. « Rien de tel que de sauter dans le train après une journée de plage et de descendre le lendemain à 7 h 20 à Paris-Austerlitz, du sable encore coincé entre les orteils », raconte Marion Soulé, 23 ans, étudiante à Sciences Po Paris, originaire de Tarbes.
« C’était l’idéal pour profiter d’un week-end familial dans les Pyrénées sans perdre de temps en journée dans les transports, le tout à prix et empreinte écologique modérés », résume Thomas L., ingénieur de 31 ans à Toulouse. Ce dernier a bien du mal à comprendre « qu’on supprime ces solutions écologiques de voyage ». Et qu’on « isole encore plus les régions éloignées ». La nouvelle LGV ? « Le TGV va sans doute être hors de prix le week-end, pressent le trentenaire. Et les cars Macron ou le covoiturage prennent plus de neuf heures dans un confort moindre. » Alors la seule solution qu’il voit sera « de poser des RTT en plus, juste pour le trajet ».
Franck, ingénieur en bâtiment à Paris qui prenait parfois la Palombe bleue pour des rendez-vous professionnels à Pau ou à Toulouse, devra, lui, partir plus tôt le dimanche. Et renoncer au coucher des enfants. Car même en prenant le premier train du lundi, le père de famille doute que la LGV lui permette d’arriver à destination avant 10 heures. « L’offre TGV matinale ne remplacera pas le confort des trains de nuit », estime un autre travailleur.
La Palombe bleue était aussi appréciée des randonneurs, leur permettant d’attaquer de bonne heure leur ascension des massifs pyrénéens.
« L’esprit du train »
Pour Julien Anguelu, trentenaire qui continuait à la prendre, la Palombe bleue restait « “le” train synonyme de vacances », le « bon vieux train sans prestige social ». Celui où « tu peux prendre ton billet à la dernière minute, le tarif restant raisonnable ».
Ce chef de projet éditorial trouve que « c’est ce qui restait de l’esprit du train qui disparaît : en TGV c’est toujours plus vite, chacun sur sa tablette. Pourquoi s’embêter à discuter, puisqu’on arrive vite ? Alors que quand on a la nuit à passer, c’est différent... » Des souvenirs de TGV, il n'en a pas. Mais des souvenirs de « rencontres improbables » entre deux wagons de la Palombe, ça oui. « Les sourires échangés à 6 heures du mat’la tête en vrac, les apéros avec des inconnus, avec le contrôleur ok tant qu’on ne dérange pas… »
Trentenaire lui aussi, Louis J., responsable marketing à Paris, se revoit encore, début des années 2000, avec sa « bande de joyeux lurons » en partance pour un week-end festif à Biarritz, dansant dans les compartiments, le lecteur CD qui crachait « Daft, Strokes, ABBA » et les contrôleurs « ravis de chiper quelques bonbecs et un petit coup de mousseux à la fin de leur service ».
Fille et petite-fille de cheminots originaire de Pau, aujourd’hui dirigeante d’un cabinet de recrutement en région parisienne, Marilyne Maigrat, 41 ans, revoit encore avec ses yeux d’enfant les « petits chariots » avec sandwich et boissons. Une fois installée à Paris pour le travail, ce furent les allers-retours vers son Sud-Ouest. La Palombe bleue qui s’arrête, c’est toute une partie de son histoire « qui s’envole ».
« C’est tout un monde et un rituel qui résistaient au fil des ans, tout un pan d’exception culturelle française qui fichent le camp », regrette aussi Michèle Grenier, 57 ans et plusieurs métiers. « Ah les odeurs de quiches à l’oignon », les « familles espagnoles et portugaises, les pèlerins pour Lourdes, les surfeurs »…
Du chaos parisien au murmure des vagues
Quand il avait embrassé ses filles et sa femme pour « monter à la capitale » et qu’il se retrouvait sur le quai de la gare d’Orthez avec ses pots de miel empilés – auxquels les Parisiens étaient « addicts » –, Jean-Pierre Boueilh, apiculteur de 61 ans, savait qu’il allait retrouver « Elise ou Jean-Marc, les guichetiers, Jacques de France Télécom, Tom d’EDF ou Tutu qui jouait au bataillon de Joinville ». « Avec un peu de chance » ils referaient le trajet ensemble, se programmeraient « une sortie au bar basque de La Villette ».
Pour d’autres, les nuits étaient plus calmes, qui aimaient s’installer dans leur couchette, se glisser dans le « sac à viande » floqué du logo SNCF et se laisser bercer par le brimbalement du train. Il n’y avait plus qu’à attendre que le contrôleur les réveille au petit matin. Ou pas. « J’ai arrêté de compter le nombre de fois où [il] oubliait de nous réveiller. Nous descendions en catastrophe et nous retrouvions pieds nus sur le quai », s’amuse Séverine de Verthamon, 47 ans, cadre dans une banque à Paris.
Mais pour tous ces voyageurs nocturnes, la magie résidait surtout dans cette possibilité de « s’endormir dans le chaos parisien » pour s’éveiller avec le « murmure des vagues » ou « au pied des montagnes aux cimes rosissantes ». Ou bien au contraire de monter dans leur wagon « après un dernier verre dans les ruelles béarnaises, pour se réveiller dans l’odeur du café et des journaux du grand hall de la gare d’Austerlitz », décrit avec poésie Fabien C., graphiste de 42 ans à Arles.
L’homme « estime avoir une dette vis-à-vis de ce train irremplaçable, qui [lui a] ouvert de grandes perspectives professionnelles et privée ». Et il en est sûr, « demain, on s’apercevra que ces trains étaient utiles et on sera obligés de recréer à grands frais de nouvelles lignes, comme on l’a fait avec les tramways ».
S’il en garde d’agréables souvenirs, Kiéran, étudiant à Pau, sentait malgré tout pour sa part que c’était « le début de la fin » : le matériel « d’un autre âge », le train qui roulait parfois au ralenti… Reste qu’aucun de ces défauts ne lui semblait insurmontables « si quelques investissements avaient été faits. Mais la SNCF semblait vouloir interrompre la ligne depuis longtemps », juge-t-il.
Lien avec les racines
La Palombe bleue, « cordon ombilical de métal et de sommeil », c’était aussi pour certains exilés à Paris « une promesse », raconte Fernando Lagrana, 59 ans, désormais universitaire à Genève ; « celle de ne jamais être trop loin du pays. De ne jamais être totalement englouti dans le maelström parisien. » Il se souvient qu’après trois pas sur le quai de la gare, ils avaient déjà « apprivoisé de nouveau les R qui roulaient dans [leurs] gorges et ralenti leur pas ».
La Palombe bleue a aussi abrité des amours naissantes. Pierre, cadre de 60 ans, n’est pas prêt d’oublier cette nuit de 1977, lors de laquelle il a croisé « cette magnifique femme blonde » avec qui il a entretenu le contact pendant un an. Avant qu’elle accepte de devenir son épouse. « L’histoire de nos vies, d’où sont nés quatre enfants. »
Il y a six mois, Marilyne Maigrat a tenu à immortaliser la Palombe bleue en photo, pressentant que ce serait peut-être son « dernier voyage à ses côtés ».
Un dernier espoir pour la Palombe bleue ?
Coûteux, en baisse de fréquentation, vieillissants… les arguments avancés par l’Etat pour mettre fin aux trains de nuit sont connus. Des arguments que réfutent fermement des usagers, associations et cheminots réunis au sein du collectif Oui au train de nuit, qui appelle à une semaine d’actions jusqu’au 8 juillet, pour défendre notamment le maintien de la Palombe bleue, la liaison Paris-Tarbes-Hendaye.
Ces défenseurs des trains de nuit y voient « un service public essentiel pour les territoires ruraux et excentrés », un lien avec la capitale, un mode de transport moins coûteux – et l’économie d’une nuit d’hôtel –, en même temps qu’une alternative écologique à l’avion et à la voiture. Ils estiment que ces trains pourraient être rentables, « si l’on n’essayait pas de décourager les usagers avec une fréquence peu attractive [la Palombe ne circulait plus que les week-ends et les vacances], un service dégradé, et une absence d’information sur Internet ».
Leur forte mobilisation depuis plus d’un an, mais aussi celle de la région Occitanie, a fini par payer : fermée en décembre, une autre ligne de nuit du territoire, la Paris-Perpignan-Portbou, va rouvrir à compter du 6 juillet, après un accord obtenu par la région avec l’Etat – moyennant la moitié du financement par la région, bien que les trains de nuit relèvent de la compétence de l’Etat.
Après cette première victoire, la présidente de région, Carole Delga, se dit « déterminée » à obtenir le même résultat pour la Palombe bleue, « un enjeu d’équité territoriale, mais aussi de développement économique et touristique ». Si les négociations n’avaient pas abouti avec le ministre des transports de l’époque, Mme Delga espère convaincre la nouvelle ministre, qu’elle doit rencontrer courant juillet.