Le premier ministre Edouard Philippe entouré de son gouvernement, le 1er juillet à Nancy. | FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Place Stanislas, à Nancy, vendredi soir. Les façades XVIIIe siècle de l’hôtel de ville s’illuminent dans la nuit, à l’occasion du sons et lumières donné chaque été par la préfecture de Meurthe-et-Moselle. Edouard Philippe et plusieurs membres de son gouvernement assistent au spectacle, au milieu des riverains et des touristes un peu surpris de les trouver là. Le gouvernement s’est offert, vendredi et samedi 1er juillet, un week-end découverte en Lorraine : voyage en train tous ensemble et nuit à l’hôtel (sauf pour le premier ministre logé en préfecture). Durant deux jours, le chef du gouvernement et ses ministres se sont délocalisés en province pour un « séminaire de travail » à huis clos, au cours duquel chacun a évoqué sa « feuille de route » pour le début du quinquennat. L’occasion aussi pour Edouard Philippe de commencer à dessiner son style comme premier ministre, à la veille de sa déclaration de politique générale, mardi 4 juillet devant l’Assemblée nationale.

Pendant que le président de la République, Emmanuel Macron, assiste à Strasbourg à la cérémonie européenne en mémoire de l’ancien chancelier allemand Helmut Kohl ou inaugure la nouvelle ligne TGV entre Paris et Bordeaux, son gouvernement planche à Nancy dans une ambiance qui rappelle celle des séminaires de cadres dans les grandes entreprises. « Un moment de rencontre et de partage » pour « souder un esprit de cohésion », tente de théoriser le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner. « Nous retrouver tous ensemble pour mieux nous connaître et pour dresser un constat partagé sur la situation du pays », résume le premier ministre Edouard Philippe qui a voulu « s’extraire des soubresauts du temps court », citant l’historien Fernand Braudel.

Thomas Pesquet, star du week-end

Vendredi soir, l’équipe Philippe II a donc partagé un « dîner de travail » avec des « héros du quotidien », dixit le même Castaner, venus raconter « leurs expériences personnelles inspirantes pour tous ». Parmi ces invités, Jean-Marie Schleret, l’ancien député de Meurthe-et-Moselle engagé dans l’action sociale et solidaire, Céline Lazorthes, fondatrice de la start-up de paiement en ligne Leetchi, ou l’académicien Erik Orsenna. L’écrivain, ancien conseiller à l’Elysée sous François Mitterrand, a mis en garde, avec humour, les ministres contre « la vanité du pouvoir ». « Il nous a fait tout un topo sur la prison que peut devenir un ministère et sur le risque d’enfermement du pouvoir », rapporte un participant.

Mais la star des agapes a été l’astronaute français Thomas Pesquet. Convié par le premier ministre, « Thom Astro » a raconté sa mission de six mois sur la station spatiale ISS. « Je viens partager mon expérience et les points communs qu’il peut y avoir entre une mission spatiale et diriger la France », a expliqué le scientifique rompu aux médias. « On était comme des gosses ! », confiera après le repas un ministre, avouant que plusieurs membres du gouvernement n’ont pas résisté à prendre des selfies avec l’astronaute ou à lui demander des autographes pour leurs enfants.

Face à un chef de l’État omniprésent, Edouard Philippe a essayé de profiter du séminaire pour se poser en animateur du gouvernement. « Une équipe complémentaire, motivée, avec un bon esprit. Je suis ravi d’être à sa tête », a-t-il confié à la presse, vendredi soir devant un demi de bière, attablé en terrasse place Stanislas avec plusieurs de ses ministres. Autour de lui, s’affiche la jeune garde gouvernementale, avec les « Macron boys » Benjamin Griveaux, Julien Denormandie et Mounir Mahjoubi, et les ralliés venus de la droite Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu et Jean-Baptiste Lemoyne. Les poids lourds Jean-Yves Le Drian, Gérard Collomb ou Bruno Le Maire, en revanche, avaient préféré regagner leurs chambres d’hôtel.

Le chef du gouvernement prépare son discours devant les parlementaires mardi. La veille, lundi 3 juillet, Emmanuel Macron s’adresse au Congrès depuis Versailles, au risque de lui prendre toute la lumière. Une compétition au sein du duo exécutif que le premier ministre réfute : « Le président va fixer le cap lundi, moi j’expliquerai mardi comment on atteint ce cap », résume-t-il.

« Remettre de l’ordre dans les comptes publics »

Alors que samedi matin, Didier Migaud, le président de la Cour des comptes, est venu à Nancy disserter devant le gouvernement sur la situation des finances publiques (et François Molins, le procureur de la République de Paris, sur la politique de lutte antiterroriste), le premier ministre s’est déjà emparé du « rapport extrêmement sévère et critique » de la rue Cambon pour préparer l’opinion à des économies supplémentaires pour atteindre les 3 % de déficit à la fin de l’année. « La France est le dernier pays en Europe à ne pas avoir ajusté ses comptes publics. Nous sommes en déficit permanent depuis 1974. On va remettre un peu d’ordre dans les comptes publics », prévient depuis Nancy Edouard Philippe, évoquant « une question de souveraineté » pour le pays.

Pour l’instant, l’exécutif revendique un « discours de vérité », mais refuse de préciser l’ampleur et le ciblage des futures coupes budgétaires. Le gouvernement a déjà annoncé le gel du point d’indice des salaires des fonctionnaires, mais cela ne sera pas suffisant pour rattraper le « dérapage » de 8 milliards d’euros attribué par la Cour des comptes au précédent quinquennat de François Hollande. Le premier ministre n’a « aucun domaine sur lequel il s’interdit de se poser des questions », a précisé son entourage depuis Nancy. Pas question pour autant du côté de Matignon de parler d’austérité. « On ne va pas faire du sang et des larmes, mais on va prendre des décisions courageuses qui ne seront pas toutes forcément populaires », explique un proche d’Edouard Philippe. Un équilibre qui s’annonce difficile à trouver.