À Viva Cité, les arts de la rue sont l’affaire de tous
À Viva Cité, les arts de la rue sont l’affaire de tous
Par Frédéric Potet (Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), envoyé spécial)
Organisé depuis 28 ans par la mairie de Sotteville-lès-Rouen, ce festival prône la participation active des habitants, jusque dans les créations artistiques figurant dans la programmation.
« Every-one », de la compagnie autrichienne Willi Dorner | @Robin Letellier
Participatif, le théâtre de rue l’est par essence. Solliciter la contribution du public appartient aux codes de cette branche du spectacle vivant ayant aboli le concept de scène. À Viva Cité, le festival des arts de la rue de Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), la logique collaborative est poussée à l’extrême : des amateurs concourent à la conception d’une demi-douzaine de spectacles inscrits dans la programmation. Soit en élaborant les décors, les costumes ou la scénographie ; soit en jouant aux côtés des comédiens.
Ce travail se fait bien en amont de la manifestation, sous la forme de stages avec des troupes en résidence à l’Atelier 231, un centre national des arts de la rue et de l’espace public, installé dans une ancienne chaudronnerie ferroviaire de la ville. Labellisé par l’État en 2010, cette structure est le bras armé du festival. La 28e édition de Viva Cité s’est achevée dimanche 2 juillet après trois jours de festivités et 310 représentations (par 70 compagnies présentes).
Les comédiens amateurs, habitants de Sotteville-lès-Rouen, pendant la déambulation « Cap au cimetière » | @Teatro del Silencio
Le point d’orgue de cette politique participative fut une déambulation « mixte » - professionnels et amateurs – mise en scène par le Teatro del Silencio, une troupe franco-chilienne œuvrant à la lisière de plusieurs disciplines (danse, mime, théâtre, arts du cirque). Évocation de Samuel Beckett (et préambule à un spectacle fixe où ne jouent que des comédiens professionnels), Cap au cimetière a réuni une vingtaine d’habitants de Sotteville et de l’agglomération rouannaise.
« Le but est de ce genre de projet est de créer une relation plus profonde avec la ville qui accueille nos représentations, explique Mauricio Celedon, le fondateur et directeur artistique de la compagnie. Les habitants qui viennent participer au spectacle ne sont pas utilisés comme des figurants. Ils font partie de la création à part entière. Ce sont généralement des gens qui aiment le théâtre et qui s’impliquent à fond. Ils ont des corps très disponibles, affranchis de toute influence, qui constituent une matière facile à modeler. Je reçois beaucoup d’eux. »
« Block », des compagnies britanniques NoFite State et Motionhouse | @Robin Letellier
L’inverse est vrai aussi : « S’immerger dans un milieu qu’on ne connaît pas, et aussi exigeant que le théâtre de rue, est une chance. C’est aussi un moyen de se prouver à soi-même qu’on est capable de faire des choses qu’on ne croyait pas possibles, de se dépasser », confie Françoise Tisserand, une infirmière psychiatrique de 55 ans qui en est à son troisième spectacle, en tant que participante, sur Viva Cité.
Cette relation aux habitants, le festival ne l’a pas inscrite par hasard dans gènes. Conçu en 1989 par la Maison pour tous de la commune dans le cadre des festivités du Bicentenaire de la Révolution (un énorme bonnet phrygien avait chapeauté l’Hôtel de ville cette année-là), l’événement a vocation à réveiller le passé culturel d’une ville qui fut l’un des berceaux du mouvement coopératif à la fin du XIXe siècle. Il y eut jusqu’à six cinémas et six théâtres à Sotteville avant que les bombardements alliés, pendant la seconde guerre mondiale, ne viennent s’abattre sur la gare de triage réquisitionnée par les Allemands, détruisant totalement ou partiellement les deux-tiers de la ville.
« Souffle », de la compagnie L’Eolienne | @Robin Letellier
« Si Sotteville a mis trente ans à se reconstruire, le ferment culturel a toujours été présent », souligne Anne Le Goff, la directrice du festival. Monter une manifestation gratuite qui se déroulerait sur l’espace public est apparue comme une évidence pour les responsables culturels de l’époque. Les arts de la rue commençaient alors tout juste à sortir des pratiques marginales, avec la création de festivals à Aurillac (1986) et Chalon-sur-Saône (1987). La deuxième ville de l’agglomération de Rouen (28 000 habitants) aurait son rendez-vous dédié aux batteurs de pavés et autres voltigeurs urbains.
« Viva Cité est un festival qui est ni hors-sol, ni ex-nihilo », appuie Anne Le Goff qui dirige également l’Atelier 231, où passent en résidence 50 compagnies chaque année. « Ce n’est pas non plus un festival sur la route des vacances où l’on vient consommer avant de repartir, ni une manifestation qui repose sur l’entre-moi, assène de son côté la maire Luce Pane (PS). Organiser un événement qui crée de la proximité avec les citoyens est une façon de s’arrimer à des valeurs républicaines dans un monde en perte total de repères. » Viva Cité est entièrement financé par les collectivités locales, la municipalité de Sotteville-lès-Rouen accordant la plus importante subvention (775 000 euros).
« La Deuche Joyeuse », de la compagnie marseillaise Générik Vapeur | @Benoît Eliot
L’animation d’ateliers ouverts au public pendant les résidences des troupes n’est pas la seule contribution à cette ligne artistique. Une option « théâtre de rue » a été créée dans une classe de première du lycée Marcel-Sembat. Dix-sept familles de la ville ont accueilli, cette année, des compagnies invitées au festival. Pour le spectacle de clôture, enfin - la Deuche Joyeuse, une création de la compagnie marseillaise Générik Vapeur (l’une des pionnières du milieu) - les organisateurs ont convaincu douze propriétaires de 2 CV de déambuler dans les rues de la ville. Trouver autant de « deux chevaux » à Sotteville même ne fut pas simple toutefois. Il fallut chercher dans toute l’agglomération. Et même au-delà du département.