Alice, 18 ans, est une jeune fille élégante. Avec un terrible secret. « Je publiais souvent des images de moi sur ma page Facebook. Un jour, j’ai reçu un message d’un type qui proposait de m’intégrer à un réseau pouvant me faire gagner de l’argent », raconte-t-elle, dans sa ville de Parakou, dans le centre du Bénin. « Il organisait des rencontres avec des hommes qui me payaient contre du plaisir sexuel. C’est ainsi que j’ai commencé. Avec ce que je gagne, j’assure mes besoins et ceux de ma fille de 2 ans. »

Ses clients ? Des hommes politiques, des particuliers ou des étrangers de passage. A la différence de la prostitution traditionnelle qui s’exerce sur les trottoirs et dans les maisons closes, cette forme de prostitution est peu visible. Via Facebook, WhatsApp ou Viber, les clients contactent les prostituées depuis leur domicile ou leur chambre d’hôtel. A Cotonou, la capitale, cette nouvelle industrie s’est fortement développée depuis la crise économique que traverse le pays. La récente opération de « déguerpissement » des espaces publics décidée par le président Patrice Talon, visant à limiter l’économie informelle, a eu pour conséquence de chasser les prostituées des rues. Surtout, leur profil a changé. Désormais, beaucoup sont lycéennes ou étudiantes. Et connectées.

« Uniquement des rencontres loin de ma ville »

« Les écoles de médias du pays coûtent excessivement cher », raconte Cynthia, 22 ans, étudiante en journalisme. Son père retraité et sa mère vendeuse ambulante ne peuvent pas couvrir tous ses frais de scolarité. « J’ai cours tous les jours, donc, avec l’aide d’un ami, j’ai intégré un groupe de sexe WhatsApp. Pour ne pas trop dépendre de cette activité, j’accepte juste deux clients par semaine. Je ne suis pas la seule étudiante dans cette situation et j’ai souvent cherché à m’extraire de ce monde, mais ce n’est pas facile avec la crise actuelle. » Dans un pays à la population très jeune et sous-employée, où 63,5 % des Béninois vivent dans l’extrême pauvreté, d’après le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), nombreuses sont celles à tomber dans la prostitution.

Aïcha, elle, vit avec sa mère et ses sœurs. Elle a dû abandonner les études après le bac. « Mes parents ignorent que je me prostitue pour mes besoins financiers. Pour ne pas éveiller de soupçons, j’accepte uniquement des rencontres loin de ma ville. Au début, pour un week-end avec un client, je pouvais réclamer entre 35 000 et 50 000 francs CFA (entre 53 et 76 euros) par jour en dehors de mes frais de déplacement. Aujourd’hui je me retrouve parfois avec 10 000 francs CFA (15,20 euros) sans mes frais de déplacement. » Au Bénin, le revenu mensuel moyen par habitant s’élevait en 2016, selon la Banque mondiale, à 60 euros.

A Cotonou, la prostitution a désormais débordé du quartier Jonquet, autrefois connu pour concentrer les bordels. Près du collègue catholique Notre-Dame, Sister, venue du Nigeria, fait le trottoir chaque soir depuis 2010. « Au début, on n’était à peine vingt à déambuler ici. Il y avait beaucoup de clients et je pouvais terminer une soirée avec près de 100 000 francs CFA (152 euros) en poche. Mais nous partageons dorénavant nos places avec des femmes au foyer qui baissent les tarifs afin de pouvoir nourrir leurs enfants. Nos plus grandes concurrentes sont les jeunes étudiantes qui viennent en majorité des universités et qui s’exposent sur WhatsApp. »

Un « catalogue » de 800 filles

Entre ces nouvelles prostituées et leurs clients, des proxénètes particuliers : les « admin ». Peter, un Ghanéen qui réside au Bénin depuis 2012, est l’administrateur du groupe « African VIP Hot Girl ». « Au début, j’avais des Togolaises et des Ivoiriennes. Mais depuis la persistance de la crise économique, les étudiantes béninoises sont de plus en plus nombreuses à me rejoindre », confie-t-il. L’homme refuse de dévoiler ses revenus, en baisse depuis l’élection du président Patrice Talon, mais se révèle plus loquace sur son réseau : quatre groupes WhatsApp avec plus de 800 filles cataloguées, vante-t-il, qui toutes lui ont envoyé des photos et de courtes vidéos d’elles nues. Aux clients qui souhaitent consulter son « catalogue », il réclame 3 000 francs CFA contre quatre images et 5 000 francs CFA pour une vidéo. Peter met ensuite en contact la jeune femme et le client.

L’un de ceux-là, qui souhaite conserver l’anonymat, explique crûment pourquoi il a recours aux réseaux sociaux : « Quand tu vas vers une prostituée qui fait le trottoir, tu t’exposes. En plus, la fille est souvent bien maquillée et jolie, tu penses que c’est un bon produit et quand vous vous retrouvez seul et qu’elle se déshabille, tu réalises que c’est une vieille carrosserie, rit-il. Avec WhatsApp, tu as déjà un visuel sur la carrosserie et ça te donne un avant-goût du produit. C’est pratique quoi ! »

Certains proxénètes possèdent des « catalogues » PHOTO en ligne de plus de 800 filles à faire valoir auprès de leurs clients; | WhatApp

A part les « indiscrétions », cet homme ne risque pas grand-chose. La loi béninoise ne punit en effet que les proxénètes. A ce jour, dans la capitale économique, hormis pour des affaires liées à la prostitution de mineurs, aucun « mac » n’a jamais été condamné, confirme le tribunal correctionnel de Cotonou.