Au Liban, appels à une enquête après la mort de quatre Syriens détenus par l’armée
Au Liban, appels à une enquête après la mort de quatre Syriens détenus par l’armée
Par Laure Stephan (Beyrouth, correspondance)
Une opération dans une zone où les militaires affrontent des djihadistes suscite la controverse.
Lors des funérailles des Syriens morts après leur interpellation, le 4 juillet à Ersal. | Uncredited / AP
C’est dans un mélange de colère et de recueillement que quatre Syriens, morts après avoir été arrêtés par l’armée libanaise dans un raid quelques jours plus tôt, ont été enterrés, mercredi 5 juillet, dans la ville d’Ersal, aux portes de la Syrie. Le commandement militaire avait annoncé la veille leur décès à l’hôpital, l’attribuant à des « problèmes de santé chroniques qui se sont aggravés en raison des conditions météorologiques ». Un représentant du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme et des ONG réclament l’ouverture d’une enquête, à la suite des allégations d’abus.
« Il y a de fortes présomptions que la torture ait été pratiquée, s’inquiète Wadih Al-Asmar, président du Centre libanais des droits humains. Les personnes sont restées allongées des heures face contre terre, dans une chaleur suffocante. Elles ont ensuite sûrement été interrogées de façon musclée. »
Des militants de l’opposition syrienne affirment que plus de dix Syriens auraient été tués par l’armée lors de l’opération coup de poing – durant laquelle cinq kamikazes se sont fait exploser à l’approche des unités d’élite – qui s’est déroulée le 30 juin à Ersal, dans deux camps de réfugiés. Une source militaire dément : « Des Syriens ont été blessés par les explosions, mais pas par l’armée. On peut choisir de polémiquer sur les conditions de l’opération. Mais, le vrai problème, c’est la présence d’armes et de terroristes dans les camps. » La descente, pour des motifs sécuritaires, selon l’armée, s’était soldée par l’arrestation de près de 350 personnes, dont les quatre morts. Une poignée d’entre elles ont été relâchées mercredi.
Poudrière
Ersal est une poudrière. Des combattants s’abritent parmi les civils dans les camps informels, ou y visitent leur famille. Aux alentours, armée et djihadistes de l’ex-Front Al-Nosra ou de l’organisation Etat islamique s’affrontent depuis près de trois ans, dans la zone montagneuse qui sépare la ville de la Syrie – bouclée, côté syrien, par le Hezbollah. Selon un témoin, un « climat de tension extrême » règne depuis vendredi. Une habitante fait part du « ras-le-bol » face à la présence syrienne.
Si la controverse enfle sur les réseaux sociaux entre défenseurs et critiques de l’opération, les responsables politiques qui, en d’autres temps, se seraient déchirés face au raid musclé, affichent leur unanimité derrière l’armée. « C’est une opération militaire qui s’est déroulée à Ersal. Traiter avec cinq kamikazes qui se font exploser est d’ordre purement sécuritaire », a affirmé mercredi le ministre de l’intérieur, Nouhad Machnouk, avant d’assurer que les « réfugiés syriens ne sont pas une cible ».
Après le raid de vendredi, deux incendies ont réduit à néant des campements de la vallée de la Bekaa. Selon l’enquête préliminaire, les causes sont accidentelles. « Mais, ajouté aux conditions de l’opération d’Ersal et à des articles au vitriol contre les réfugiés dans la presse, cela fait beaucoup », résume un militant syrien des droits de l’homme, exilé au Liban.
Signe que le vent est en train de tourner, après la « distanciation » longtemps prônée par Beyrouth, en théorie du moins, face au conflit syrien, une partie des forces politiques, Hezbollah en tête, appellent à renouer les relations avec Damas pour organiser le retour des réfugiés. Le camp rival, mené par le premier ministre, Saad Hariri, s’y oppose. Mais le débat est loin d’être clos.