Une crise majeure ouverte entre Macron et l’armée
Une crise majeure ouverte entre Macron et l’armée
Par Bastien Bonnefous, Nathalie Guibert, Cédric Pietralunga
Après le recadrage du président de la République, le sort du chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers, est en suspens.
Le président Emmanuel Macron aux côtés du général Pierre de Villiers, le 14 juillet, à Paris. | CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
Le 14-Juillet 2017 restera dans les annales comme un jour de crise ouverte entre l’armée et le président de la Ve République, en dépit du succès du défilé qui a mis ce vendredi-là les troupes à l’honneur sous le regard admiratif de l’Américain Donald Trump. Dans le week-end, les sources du Monde convergeaient pour juger inéluctable la démission du chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers.
Une folle séquence a débuté mardi 11 juillet. Dans Le Parisien, le ministre des comptes publics Gérald Darmanin annonce que, fin 2017, la solidarité interministérielle n’assumera pas les surcoûts des opérations extérieures comme le prévoit la loi : pour les payer, les armées devront économiser 850 millions d’euros sur leurs équipements. L’annonce des coupes, auxquelles s’ajoutent d’importants gels de crédits, est une douche froide. Le président s’était engagé pour atteindre un effort de défense de 2 % en 2025, ce qui exige de nouveaux crédits immédiats. Sur cette base, il a maintenu Pierre de Villiers à son poste pour un an, le 30 juin.
Le 12 juillet, le chef d’état-major proteste, devant le président, en conseil de défense. Avant de se rendre devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale pour une audition à huis clos. Une fuite révélera son courroux : « Je ne me laisserai pas baiser comme ça ! » Connu pour être franc et direct, Pierre de Villiers est applaudi par les députés. Avec les parlementaires, les industriels de l’armement sonnent la mobilisation.
« Je suis votre chef »
Le 13 au soir, venu au ministère rendre hommage aux troupes qui vont défiler comme le veut la tradition, le chef de l’Etat déclare, en des termes très autoritaires : « Je considère qu’il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique. » « Je suis votre chef. » Assurant qu’il tiendra ses engagements, Emmanuel Macron ajoute : « Je n’ai besoin de nulle pression et de nul commentaire. »
Le 14 au matin, le général Villiers accompagne le président pendant le défilé et publie sur Facebook, comme il le fait régulièrement, une lettre aux soldats. Celle-ci a pour thème la confiance et se conclut ainsi : « Une fois n’est pas coutume, je réserve le sujet de ma prochaine lettre. » Après le recadrage présidentiel, le général a signifié à son équipe qu’il prendrait une décision en début de semaine.
Le 15 juillet, le chef de l’Etat indique au Journal du dimanche : « Si quelque chose oppose le chef d’état-major au président de la République, le chef d’état-major change. »
A son arrivée à l’Elysée, Emmanuel Macron avait multiplié les gestes à l’intention des armées. Le jour de son investiture, il avait remonté l’avenue des Champs-Elysées en command-car et s’était aussitôt rendu au chevet des soldats blessés de l’hôpital Percy, à Clamart (Hauts-de-Seine). Le 19 mai, il avait réservé son premier déplacement hors d’Europe aux forces françaises engagées au Sahel contre les djihadistes. « Je protégerai l’institution militaire (…), ma confiance en vous est totale », avait assuré le président depuis Gao, au Mali.
Des coupes « inacceptables »
Même volonté de mise en scène quelques jours plus tard, à Lorient. En marge d’une visite des chantiers navals de Saint-Nazaire, le chef de l’Etat avait accompagné en mer des commandos marine. Belles images assurées pour celui dont les adversaires avaient critiqué le manque d’expérience en matière régalienne. Le 4 juillet, il s’est fait hélitreuiller à bord du Terrible, l’un des quatre sous-marins porteurs de la bombe nucléaire, où il a passé plusieurs heures en plongée.
Le nouveau chef des armées avait, plus subtilement, montré sa volonté de prendre en main les dossiers militaires en exfiltrant au Quai d’Orsay Jean-Yves Le Drian, le ministre de la défense indéboulonnable du quinquennat Hollande, et, surtout, en le séparant de son directeur du cabinet tout-puissant, Cédric Lewandowski. Pour succéder à M. Le Drian ont été choisies deux non-spécialistes : la centriste Sylvie Goulard, démissionnaire au bout d’un mois en raison de l’affaire des emplois fictifs du Modem, et l’ancienne socialiste Florence Parly, une « budgétaire » inconnue au bataillon. Ni la ministre des armées ni Jean-Yves Le Drian ne se sont exprimés depuis le début de la crise.
« En s’affichant autant, Macron a donné l’impression de se servir des soldats pour se construire une image, ils ont le sentiment de s’être fait avoir », critique un parlementaire. Preuve du malaise, la politique tracée par le chef de l’Etat a été critiquée jusque dans son camp. Le député LRM du Morbihan Gwendal Rouillard, un dauphin de M. Le Drian, a jugé « carrément inacceptables » les coupes du budget. Son collègue du Val-de-Marne Jean-Jacques Bridey, président de la commission de défense à l’Assemblée nationale, a dit « regrette [r] le choix » de l’exécutif. « Il n’était pas sérieux d’annoncer 850 millions d’euros de coupes tout en donnant 1,5 milliard pour recapitaliser Areva », explique-t-il au Monde en dénonçant l’attitude de Bercy. « Le calendrier a piégé les militaires, la ministre et même le président. »
Durant la campagne présidentielle, les membres de la garde rapprochée d’Emmanuel Macron l’appelaient entre eux « le chef ». Une habitude que le président de la République entend voir perdurer au pouvoir. Mais, avant même de savoir si le chef d’état-major déciderait de rester ou non, les observateurs avertis de l’institution militaire jugeaient ces derniers jours que le quinquennat démarrait sur une crise majeure.
« Les armées, ça obéit, fondamentalement. Et, sur le fond, c’est le devoir du président de rappeler son autorité », souligne le très respecté Henri Bentégeat, un prédécesseur du général Villiers qui a servi le président Jacques Chirac. « Mais la méthode va laisser des traces, on ne peut pas remettre en cause publiquement un chef militaire comme cela devant ses subordonnés. » Au fond, estime un général qui exprime un point de vue très partagé, « Pierre de Villiers n’a fait que son devoir en défendant le budget des armées, et Emmanuel Macron ne se rend pas compte que, lorsqu’il sera dans la cour des Invalides pour son premier soldat mort à cause d’un défaut d’équipement, c’est à lui que s’adresseront les reproches. »