Au Sahel, Macron et Merkel veulent faire du neuf avec du vieux
Au Sahel, Macron et Merkel veulent faire du neuf avec du vieux
Par Seidik Abba (chroniqueur Le Monde Afrique)
Pour notre chroniqueur, les ambitions de la nouvelle Alliance pour le Sahel sont en deçà des promesses faites par la communauté internationale en novembre 2013.
L’annonce a été faite jeudi 13 juillet en grande pompe au palais de l’Elysée, à l’issue du conseil des ministres franco-allemand : l’Allemagne, la France et l’Union européenne ont créé une Alliance pour le Sahel. Il s’agit d’une plate-forme pour « intervenir davantage et mieux » dans la bande sahélo-saharienne, qui s’étend de la Mauritanie au Tchad, en passant par le Burkina, le Mali et le Niger.
« L’Alliance pour le Sahel va permettre une coordination de l’aide plus efficace, et vise à améliorer l’appui des partenaires au développement à la région afin de mieux contribuer efficacement et plus largement à la stabilisation et à l’élimination de la pauvreté, en développant les zones rurales, en créant de l’emploi pour la jeunesse, en améliorant les infrastructures énergétiques et en renforçant la gouvernance », détaille la note de présentation de l’initiative euro-franco-allemande.
Selon ses promoteurs, l’Alliance pour le Sahel va également aider les partenaires des pays de la région à mettre en œuvre « une approche intégrée portant à la fois sur la sécurité, la stabilisation à court terme et le développement à moyen et long terme ».
Comme pour conjurer toute accusation de diktat occidental, l’Allemagne, la France et l’Union européenne ajoutent que « l’initiative sera pilotée par une instance de dialogue de haut niveau entre partenaires au développement et les pays du Sahel, qui se réunira annuellement à tour de rôle, soit dans la région ou soit dans un pays contributeur ».
Cacophonie
A y regarder de près, l’Alliance pour le Sahel version Emmanuel Macron et Angela Merkel n’apporte absolument rien de nouveau. Ses ambitions sont même en deçà des grandes promesses faites à la région par la communauté internationale en novembre 2013. On avait alors applaudi à tout rompre dans la capitale malienne le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, la présidente de la Commission de l’Union africaine, NKosazana Dlamini-Zuma, le commissaire européen Andris Piebalgs, le président de la Banque africaine de développement (BAD) Donald Kaberuka, ainsi que le président de la Banque mondiale Jim Yong Kim.
Devant Dieu et les hommes, tous avaient juré la main sur le cœur que la cacophonie des interventions était finie. Ses dignitaires de la communauté internationale s’étaient engagés à développer des synergies au point de désigner chaque bailleur comme chef de file d’un secteur ciblé, en fonction de son avantage comparatif. Ce qu’ambitionne de faire l’Alliance pour le Sahel.
Mieux, à Bamako, les grandes institutions multilatérales avaient pris « l’engagement révolutionnaire » de mettre en place des procédures dérogatoires pour le Sahel. En clair, le délai de dix-huit mois qui s’écoule habituellement entre l’approbation d’un don ou d’un prêt et son décaissement effectif serait exceptionnellement et profondément raccourci pour la région Sahel. Pour attester de leur bonne foi et convaincre les plus sceptiques, « les grands patrons » de la communauté internationale avaient pris le même avion pour se rendre à Tombouctou puis effectuer une tournée sous-régionale au Burkina, au Niger et au Tchad.
Urgence à agir
Dès leur retour à Addis-Abeba, Bruxelles, New York, Tunis et Washington, les dignes représentants de la communauté internationale ont oublié leurs engagements de Bamako. Près de quatre années plus tard, la culture du travail en commun n’est toujours pas présente au Sahel. Il existe en effet pas moins de quatorze stratégies différentes en faveur de la région. Avec pour chacune son « envoyé spécial », ses bureaux de grand standing, son parc automobile et sa bureaucratie. Les deux plus connues étant la Stratégie intégrée des Nations unies pour le Sahel (Sinus) et la Mission africaine pour le Mali et le Sahel (Misahel).
Si la communauté internationale n’a pas changé dans sa dispersion, le contexte sous-régional a, pour sa part, profondément évolué. La gangrène terroriste a désormais attaqué des pays jusqu’ici épargnés comme le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, mais aussi l’ouest et le nord-ouest du Niger. Il y a donc urgence à agir. Autre élément nouveau, c’est la création en février 2014 du G5 Sahel qui a mis en place une force pour combattre le terrorisme et les autres formes de criminalité transnationale organisées. En s’appuyant sur cette nouvelle conjonction sous-régionale et sur son ambition d’associer la société civile et de favoriser la décentralisation, l’Alliance pour le Sahel pourrait peut-être faire mieux que les promesses sans lendemain formulées en novembre 2013 à Bamako par la communauté internationale.
Seidik Abba, journaliste et écrivain, est notamment l’auteur de Rébellion touarègue au Niger : qui a tué le rebelle Mano Dayak ?, L’Harmattan, 2010.