L’épisiotomie : un taux bien inférieur aux 75 % évoqués par Marlène Schiappa mais de vraies questions
L’épisiotomie : un taux bien inférieur aux 75 % évoqués par Marlène Schiappa mais de vraies questions
Par Anne-Aël Durand
Cette incision du périnée est réalisée dans 26,8 % des accouchements par voie basse, selon l’Inserm, un taux qui atteint 44,4 % pour une première naissance.
La secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, s’est attiré lundi 24 juillet les foudres des gynécologues après des déclarations sur les épisiotomies pratiquées durant les accouchements. Les représentants du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (Cngof) se sont déclarés « choqués » par le relais donné à des « informations fausses ».
CE QU’ELLE A DIT
Mme Schiappa était auditionnée, jeudi 20 juillet, au Sénat par la délégation aux droits des femmes. A l’issue d’un discours sur les inégalités professionnelles et sur les violences (viols, harcèlement) subis par les femmes en France, elle a déclaré :
« J’ai commandé un rapport au Haut Conseil à l’égalité sur les violences obstétricales, qui est un sujet qui revient dans l’actualité. Vous savez qu’en France on a un taux d’épisiotomie à 75 % alors que l’OMS préconise d’être normalement autour de 20 à 25 % [et] des pratiques obstétricales non consenties, avec particulièrement des violences obstétricales sur les femmes très jeunes, étrangères ou handicapées. »
POURQUOI CE CHIFFRE EST CONTESTABLE
L’épisiotomie est une intervention chirurgicale réalisée lors d’un accouchement pour faciliter la sortie du bébé et éviter une déchirure du muscle du périnée. L’accoucheur (gynécologue, sage-femme ou externe) réalise une incision, généralement de manière latérale et sans anesthésie, recousue à la fin de l’accouchement.
- Des épisiotomies réalisées dans un quart des accouchements
Cet acte médical réalisé à l’hôpital fait partie des indicateurs étudiés dans les enquêtes nationales périnatales (Epopé) réalisées par l’Inserm, dont la prochaine version doit être publiée en octobre. Les derniers chiffres disponibles font état de 26,8 % d’épisiotomies lors des accouchements par voie basse en 2010, avec une nette différence entre les femmes venant pour une première naissance (primipares), avec 44,4 % d’épisiotomies, et les suivantes (multipares), à 14,2 %. On est donc loin du « taux de 75 % » évoqué par la secrétaire d’Etat.
- Un taux en forte baisse
La comparaison avec une précédente enquête, datant de 1998, montre que le taux d’épisiotomie a déjà considérablement baissé en France. A l’époque, cette intervention était réalisée dans 55 % des cas et jusqu’à 71,3 % lors d’une première naissance.
- Une pratique remise en cause
La baisse des taux d’épisiotomie en vingt ans s’explique par des évolutions des données scientifiques, qui n’ont pas montré les bénéfices d’une pratique systématique pour réduire les troubles du périnée, comme les incontinences ou la survenue de graves déchirures. En 2005, le Cngof a adopté des recommandations encourageant une pratique « restrictive », avec l’objectif de descendre sous le seuil de 30 %.
En Europe, les taux d’épisiotomie sont extrêmement variés entre les pays : de 4,9 % au Danemark à 75 % à Chypre. La France se situe plutôt dans la moyenne basse.
- Des recommandations diverses
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise de « mettre un terme à la pratique excessive de l’épisiotomie », parce que ses bénéfices ne sont pas toujours évidents et qu’elle peut, dans certaines conditions (en particulier dans les pays défavorisés), provoquer des infections lors de la suture. Mais les dernières recommandations (en 2008) ne comportent pas de chiffres. En 1997, un guide pratique estimait que le taux de 10 % devait être « un but à atteindre ».
Toutefois, « il est difficile de se cadrer sur les objectifs de l’OMS, qui tiennent compte de la situation des pays à bas et moyens revenus dans lesquels les pratiques médicales et l’organisation des soins peuvent difficilement être comparées à la situation française », estime l’épidémiologiste Bénédicte Coulm, coordinatrice nationale de l’enquête périnatalité 2016 à l’Inserm. La chercheuse précise aussi que, dans les pays qui pratiquent extrêmement peu d’épisiotomies, des études sont désormais menées sur les risques de complications de certaines déchirures.
- Un décalage entre les chiffres et le ressenti des patientes
D’où vient le décalage entre les données officielles françaises et le chiffre avancé par Mme Schiappa ? Dans un communiqué, le secrétariat d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes précise que le chiffre de 75 % correspond au nombre de femmes qui disent avoir subi une épisiotomie, selon une étude de l’association Maman travaille (fondée par la secrétaire d’Etat), menée sur 983 mères en 2013.
Il s’agit donc d’une enquête déclarative sur un échantillon réduit. Par ailleurs, si le chiffre est peut-être surestimé, il n’est pas forcément incohérent avec les enquêtes de l’Inserm : près d’une femme sur deux a subi au moins une épisiotomie pour son premier accouchement s’il a eu lieu en 2010, et près de deux sur trois si la première naissance remonte à 1997.
Par ailleurs, la question de l’épisiotomie ne se réduit pas à des chiffres ou des taux. En effet, cet acte médical banal peut être traumatisant pour les patientes, surtout si elles n’en avaient pas été suffisamment informées. La cicatrice alimente aussi des controverses sur le « point du mari » : des praticiens sont accusés de réaliser une suture plus serrée pour resserrer le vagin distendu et accroître le plaisir sexuel du partenaire.
La secrétaire d’Etat souhaite plus généralement réaliser un état des lieux sur les « violences obstétricales » : péridurales ratées, épisiotomies imposées, sentiment de passivité face au corps médical ou d’abandon, douleur intense… Plusieurs médias (Le Figaro, Elle) ont publié des témoignages d’accouchements « qui virent au cauchemar ». Pour le professeur Israel Nisand, président du Cngof, il s’agit d’actes isolés réalisés par des « brebis galeuses ».
Pour Bénédicte Coulm, « ce sujet est très difficile à étudier », car il n’est pas clairement défini : « Parle-t-on de violences volontaires perpétrées par les soignants ? Ou d’un manque d’information et de dialogue avec le soignant ? D’une incompréhension entre la femme et le médecin ? » Pour la chercheuse, une des solutions est de « favoriser une continuité des soins en assurant le suivi de la grossesse et du post-accouchement par une seule personne en qui le couple a confiance ». En attendant que le Haut Conseil à l’égalité rende les conclusions du rapport commandé par Marlène Schiappa.
Accoucher autrement depuis 2016
Une petite « révolution » s’est opérée en 2016 pour les futures mamans : il est désormais possible d’accoucher dans des maisons de naissance, qui sont à mi-chemin entre l’hôpital et le domicile. Une expérimentation a été lancée pour cinq ans dans neuf structures en métropole et dans les départements d’outre-mer.
A cette occasion, nous avons souhaité réaliser un état des lieux de la naissance et de ses questionnements. Retrouvez ici tous les articles de notre dossier :
- L’état des lieux : Pourquoi le nombre de maternité a été divisé par trois en quarante ans
- Les explications : Qu’est-ce qu’une maison de naissance ?
- Le reportage à Paris : En maison de naissance, « on apprend à se faire confiance »
- Un reportage aux Pays-Bas : Le pays où les femmes accouchent encore chez elles, accompagné d’un entretien : « Aux Pays-Bas, accoucher à domicile n’est pas un projet alternatif, c’est juste normal »
- Une vidéo humoristique : Si le sexe était aussi médicalisé que l’accouchement, ce serait beaucoup moins drôle