Les primatologues africains s’organisent pour sauver singes et lémuriens
Les primatologues africains s’organisent pour sauver singes et lémuriens
Le Monde.fr avec AFP
Près de 150 scientifiques du continent sont réunis en Côte d’Ivoire afin de créer la Société africaine de primatologie.
L’indri, un lémurien emblématique de Madagascar, est menacé par la disparition des forêts. | ROBERTO SCHMIDT/AFP
En Afrique, la situation des primates est catastrophique : plus de la moitié des espèces sont menacées de disparition. A Madagascar, 85 % des espèces de lémuriens risquent de disparaître, tandis qu’en Côte d’Ivoire, la population de chimpanzés a chuté de 90 % en vingt ans. Afin de mieux protéger les singes menacés d’extinction, près de 150 scientifiques du continent sont réunis jusqu’au jeudi 27 juillet sur le campus du pôle scientifique de l’université Félix-Houphouët-Boigny, à Bingerville, près d’Abidjan, pour créer la Société africaine de primatologie (SAP).
Les causes de la baisse des populations des primates en Afrique sont connues : la chasse et le braconnage, ainsi que la disparition de leur habitat, notamment les forêts, à cause de l’extension des activités agricoles humaines, de l’exploitation exagérée du bois, des mines et de l’urbanisation. Mais ces causes sont difficiles à endiguer. Il faut en effet convaincre les communautés de l’intérêt de défendre les primates et leur environnement.
« Echanger des expériences et former les jeunes »
« Les Africains, décideurs ou simples citoyens, sont plus sensibles à un discours qui vient d’un scientifique africain », estime le professeur Inza Koné, directeur de la recherche et du développement du Centre suisse de recherches scientifiques en Côte d’Ivoire, qui souligne à quel point le milieu de la primatologie est largement dominé par des scientifiques d’Amérique du Nord ou d’Europe. Les primatologues africains sont peu connus à l’échelle internationale, ils n’ont pas accès aux mêmes financements et ne dirigent que rarement des projets de recherche ou de conservation, même sur leur propre continent, explique-t-il.
La SAP va permettre aux scientifiques africains « d’échanger leurs connaissances, leurs expériences, de constituer des réseaux et de former les jeunes primatologues », juge Rachel Ikemeh, l’une des initiatrices du projet. Elle-même a créé une ONG pour sauver les colobes rouges de la région du Delta, au Nigeria. Ces élégants petits singes pesant une dizaine de kilos et qui tirent leur nom de la couleur fauve du pelage de leur dos sont en danger critique d’extinction : il y en avait des dizaines de milliers il y a vingt ans, il n’en reste qu’entre 500 et 1 000 aujourd’hui. Dans cette région pétrolifère, de gros intérêts économiques internationaux sont en jeu et il est difficile d’éveiller les consciences à la défense de l’environnement, explique-t-elle.
« Il faut sensibiliser les autorités traditionnelles »
Rose-Marie Randrianarison, primatologue à l’université d’Ankatso, à Antananarivo, et spécialiste des indris, est venue de Madagascar pour participer à la naissance de la SAP. Ces gros lémuriens au pelage noir et blanc, qui sont un des symboles de la Grande Île, sont eux aussi en danger, menacés par la disparition des forêts. Les échanges avec ses collègues du Bénin et du Congo lui ont permis de comprendre « l’importance de la politique » dans les stratégies de protection. « Il faut sensibiliser les autorités traditionnelles, qui sont écoutées par la population, et informer et impliquer les décideurs politiques », dit-elle, optimiste malgré tout : « Les choses changent », note Rose-Marie Randrianarison, qui se réjouit de la création, en 2014, d’un Festival mondial des lémuriens.
« C’est le moment » de créer la SAP, « on a vraiment besoin d’une organisation africaine gérée par des Africains » au côté de la Société internationale de primatologie, déjà existante, estime Russell Mittermeier, un célèbre primatologue américain, spécialiste des lémuriens de Madagascar, venu parrainer la naissance de la société savante. Vice-président de l’organisation américaine de protection de la nature Conservation International, il se souvient des débuts de la primatologie au Brésil, l’autre pays dont il est spécialiste et qui compte le plus grand nombre d’espèces de primates : « En 1971, il n’y avait qu’un seul primatologue brésilien. » Grâce à la création de la Société nationale de primatologie brésilienne, qui a formé massivement des jeunes, le pays comptait déjà « plusieurs centaines de primatologues à la fin des années 1980 ». Un exemple à suivre pour l’Afrique.