A la veille des législatives, de nombreux Sénégalais se demandent s’ils pourront voter
A la veille des législatives, de nombreux Sénégalais se demandent s’ils pourront voter
Par Amadou Ndiaye
Les cartes biométiques n’ont pas été produites en nombre suffisant. Les récépissés délivrés pour ces documents devraient permettre de voter, ou un « document d’identification » délivré par le ministère de l’intérieur.
Une affiche de campagne pour Benno bokk yaakaar, la coalition au pouvoir du premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne, dans les rues de Dakar. | SEYLLOU / AFP
La campagne électorale pour les élections législatives du dimanche 30 juillet a
pris fin vendredi, laissant un certain nombre d’électeurs sénégalais dans l’inquiétude. A
quelques heures du scrutin, le chaos constaté dans la production et la distribution des cartes biométriques, document nécessaire pour voter, a fini d’installer le flou dans les esprits.
Ndèye Maréme, jeune Sénégalaise de 18 ans, risque de ne pas soutenir son candidat aux législatives et cela la révolte. « Cette année, pour la première fois, je me suis inscrite sur les listes électorales pour voter, mais je n’ai pas encore reçu ma carte d’identité et on est à quelques heures du scrutin », s’inquiète-t-elle, outrée de ne pas pouvoir exercer son devoir citoyen.
« Cela fait très mal, j’ai pourtant battu campagne ces trois dernières semaines auprès de mon candidat, c’est regrettable de ne pas pouvoir voter pour lui. J’ai l’impression d’être victime d’un vol de conscience. »
Comme elle, de nombreux primo-inscrits ne seront pas en mesure d’élire dimanche le candidat de leur choix à cause de la confusion qui a entouré la fourniture des documents nécessaires au vote : le gouvernement n’a pas pu produire toutes les cartes d’identité biométriques.
C’est pourquoi, à cinq jours du scrutin, le président Macky Sall a saisi le Conseil constitutionnel sur la possibilité de voter avec les seuls récépissés de ces cartes. Une décision justifiée, selon lui, par la nécessité pour chaque Sénégalais d’« accomplir librement son devoir citoyen ».
Dans son avis, rendu jeudi 27 juillet, la haute juridiction a répondu favorablement en
préconisant l’association du récépissé avec les anciennes cartes d’identité, anciennes cartes d’électeur ou le passeport.
Mais, en ce qui concerne les primo-inscrits, le Conseil a simplement indiqué que ceux-ci devraient produire un « document d’identification » délivré par le ministère de l’intérieur. Sans plus de précision.
Ce n’est que vendredi que le ministre de l’intérieur a précisé que les personnes concernées pouvaient se rendre dans les préfectures et sous-préfectures pour récupérer ce document d’immatriculation.
Une opposition ulcérée
« Cette confusion est entretenue à dessein pour priver une partie importante de Sénégalais de leur droit de vote », avancent les membres de la Coalition gagnante wattu Senegaal, dirigée par l’ex-président Abdoulaye Wade. Dans un communiqué, publié vendredi, ils ont déclaré que « l’énergie dépensée pour délivrer de prétendus documents d’identification est largement suffisante pour délivrer les cartes d’électeurs à leurs ayants droit. »
Plus radicale, la coalition Manko taxawu Senegaal, avec à sa tête le maire de Dakar en prison, Khalifa Sall, a rejeté la proposition de pouvoir voter avec des pièces non prévues par le code électoral. « Manko taxawu Senegaal ne votera pas avec des récépissés. Nous demandons à tous nos représentants dans le département de Dakar de n’accepter que la carte d’électeur pour voter », a déclaré Barthélémy Dias, membre de Manko tawawu Senegal, jeudi, après l’avis du Conseil constitutionnel.
Des affiches électorales sont placardées devant une école de Dakar avant le vote du 30 juillet. | SEYLLOU / AFP
« On ouvre la porte à la contestation, à la perturbation du scrutin »
Contacté par Le Monde Afrique, le spécialiste en matière électorale Ndiaga Sylla estime qu’il est quasi impossible de délivrer en quarante-huit heures cette pièce à l’ensemble des électeurs concernés, sans compter ceux qui ne disposent plus de leurs anciennes cartes ni de passeport.
A ses yeux, avec l’option choisie par le gouvernement, « on ouvre la porte à la contestation, à la perturbation du scrutin et [on] menace la paix et la cohésion nationale si l’on prend en considération les déclarations de certaines coalitions de l’opposition qui rejettent toutes pièces non prévues par le code électoral ».
Autre inquiétude sur le scrutin de dimanche : les électeurs, qui n’ont pas reçu leur carte d’identité Cedeao et qui n’ont pas accès au portail Internet, risquent de ne pas pouvoir localiser leur lieu de vote, sachant que le nombre maximum d’électeurs par bureau a été réduit de 900 à 600.
Risques de violences
La contestation, née des problèmes de fabrication et de distribution des cartes biométriques, a alimenté les violences tout au long de la campagne électorale. Des affrontements ont été enregistrés sur tout le territoire entre partisans de Benno bokk yaakaar, coalition au pouvoir, et ceux de l’opposition.
Plusieurs personnes ont été poignardées lors d’échauffourées, à l’image du maire de la localité nord de Labgar, puis à Sédhiou dans le sud du pays et à Guédiawaye, vendredi. Plusieurs blessés sont actuellement soignés dans les hôpitaux à Dakar.
La tension a amené les différents guides religieux, dont le calife des Tidianes et son homologue calife des Mourides, deux plus grandes confréries religieuses du pays, a lancé des appels au calme et à des unions de prières, vendredi, dans les mosquées du pays.
Pour des « raisons de sécurité », le ministère de l’intérieur a publié deux décrets vendredi soir. Le premier interdit la vente au détail de l’essence et de tout autre produit d’hydrocarbure dans des bouteilles en plastiques durant la période s’étendant du 29 juillet au 15 août. Le second interdit la circulation de véhicules de région à région, à compter de samedi minuit jusqu’au dimanche 30 juillet à minuit. Les véhicules de sécurité, de secours et les ambulances ne sont pas concernés par la mesure.