Argentine : disparition du prestigieux journal anglophone « Buenos Aires Herald »
Argentine : disparition du prestigieux journal anglophone « Buenos Aires Herald »
LE MONDE ECONOMIE
Fondé en 1876, le journal a été le seul à dénoncer les violations des droits de l’homme commises par la dictature militaire entre 1976 et 1983.
Fondé le 15 septembre 1876, le Buenos Aires Herald fut le premier journal édité en langue anglaise en Amérique latine, à l’époque où les investissements britanniques affluaient vers l’Argentine. Mais lundi 31 juillet, après plus de cent quarante ans de publication, la rédaction a appris la fermeture du journal. Elle a partagé, sur les réseaux sociaux, la première page de son édition du 15 septembre 2016, à l’occasion des 140 ans du quotidien, et son titre prémonitoire : « Des temps difficiles ».
Herald's staff have been informed that the newspaper is closing.
Our front page when we turned 140 on September 15… https://t.co/ostkVbqxGT
— BAHeraldcom (@Buenos Aires Herald)
Un des derniers journaux anglophones du sous-continent américain a donc cessé d’exister, malgré le prestige dont il jouissait pour l’indépendance de sa ligne éditoriale, le professionnalisme de ses journalistes et, surtout, son engagement en faveur de la défense des droits de l’homme pendant la dictature militaire (1976-1983), qui fit quelque 30 000 disparus, selon les associations de victimes.
Position courageuse
En difficultés financières, le quotidien était devenu hebdomadaire en 2016 et avait brutalement congédié une partie de son personnel. Le Buenos Aires Herald faisait actuellement partie du groupe de presse Indalo, propriété de l’homme d’affaires Cristobal Lopez, un proche de l’ex-présidente péroniste Cristina Fernandez de Kirchner (2007-2015) qui a fait fortune dans les casinos et qui est impliqué dans plusieurs affaires de corruption.
A partir de 1978, sous la direction du journaliste britannique Robert Cox, il fut le seul journal en Argentine à dénoncer inlassablement les violations des droits de l’homme commises par la dictature instaurée par le général Jorge Rafael Videla. Une position courageuse qui entraîna l’arrestation de Robert Cox, finalement libéré sous la pression de Washington, avant d’être contraint à l’exil en 1979.
Un autre prestigieux journaliste, Andrew Graham-Yooll, avait dû lui aussi s’exiler. James Neilson, qui remplaça Robert Cox à la tête du quotidien, fut aussi la cible de menaces, ce qui n’empêcha pas le quotidien, contrairement aux médias argentins, de continuer à dénoncer les atrocités commises par les militaires.
Capitaux argentins
A ses débuts, The Buenos Aires Herald, fondé par un immigrant écossais, William Cathcart, n’était qu’une simple feuille de papier hebdomadaire, couverte de gros titres, avec, au recto, des petites annonces, et au verso, des informations sur les entrées et les sorties de bateaux du port de Buenos Aires. Vendu un an plus tard, il se transforma en quotidien d’information générale et devint rapidement une référence pour la communauté anglophone vivant en Argentine.
En 1968, le groupe américain Evening Post Publishing Company, basé à Charleston, en Caroline du Sud, acquérait la majorité des actions du quotidien, avant d’en devenir l’unique propriétaire à partir de 1998. Le 15 décembre 2007, pour la première fois, le journal passait entre les mains de capitaux argentins, après son rachat par l’homme d’affaires Sergio Szpolski pour l’intégrer à son puissant groupe de médias. Un an plus tard, Szpolski vendit la publication au holding Indalo, qui édite également le quotidien financier argentin Ambito Financiero.
Pour son apport au journalisme en Argentine et sa courageuse couverture des années de plomb, la Fondation Konex, prestigieuse organisation destinée à promouvoir les initiatives culturelles, scientifiques ou sportives, accorda en 1987 au Buenos Aires Herald la mention spéciale des Prix Konex.