A l’approche des élections au Kenya, les habitants de Nairobi prennent la route de l’exode
A l’approche des élections au Kenya, les habitants de Nairobi prennent la route de l’exode
Par Bruno Meyerfeld (contributeur Le Monde Afrique, Nairobi)
Traumatisées par les violences post-électorales de 2007-2008, des milliers de personnes fuient la capitale pour des régions moins exposées.
Il est 6 h 30 dans le bidonville de Kawangware, à Nairobi. Le bus « Magic Madiba » (en hommage à Nelson Mandela) est prêt à partir. Sur le toit, on sangle les derniers bagages. À l’intérieur, plus une place de libre, les passagers se serrent les uns contre les autres. Parés pour huit heures de route, direction Kakamega, Mumias, Bungoma… L’extrême-ouest du Kenya, à la frontière avec l’Ouganda.
Tout le long de la rue, une demi-dizaine d’autres d’autobus pleins à craquer attendent le départ. Ces derniers jours, de Kibera à Mathare, la scène est la même dans tous les bidonvilles de Nairobi : à l’approche des élections générales prévues le 8 août, les habitants fuient par milliers la capitale. Le phénomène est devenu si massif que la presse évoque déjà à un « exode ».
Dans le « Magic Madiba », les mines sont graves, les regards inquiets et fuyants. « On part parce qu’on a peur, avoue Melissandre, sa petite fille serrée contre elle. Il est dangereux de rester pendant les élections. Les tensions sont très fortes ici. Il y a dix ans, c’était la guerre à Kawangware. Et cette fois, après le vote, on ne sait pas ce qui pourrait arriver. »
Victimes expiatoires
Le traumatisme des violences post-électorales de 2007-2008 est toujours brûlant à Kawangware. Le bidonville fut à l’époque l’un des plus touchés de la capitale. Les membres de la tribu luhya (13 % de la population du pays, soit le deuxième groupe ethnique du Kenya), originaire de l’ouest et majoritaire dans le quartier, furent attaqués en nombre par des bandes armées issues de l’ethnie kikuyu.
Pour le scrutin du 8 août, les leaders luhya soutiennent en majorité la candidature de l’opposant Raila Odinga face au président sortant, Uhuru Kenyatta, d’origine kikuyu et qui brigue un second mandat. Très divisés entre sous-clans, moins bien organisés (et armés) que les autres tribus, les Luhya craignent de servir de victimes expiatoires en cas de défaite du chef de l’Etat.
Le phénomène toucherait pour les mêmes raisons la tribu kamba (9,8 % de la population) et d’autres groupes du pays. Pour faire face à l’affluence dans les terminaux routiers, les compagnies de bus doublent leur cadence et effectuent plusieurs allers-retours dans la journée. Et le prix du ticket explose.
« Il y a deux semaines seulement, un billet pour l’Ouest coûtait 800 shillings [6,40 euros]. Maintenant, on est à 1 500, voire plus ! », constate Rogers, une couverture masaï sur les épaules. Il travaille comme intermédiaire pour aider les passagers à trouver leur place dans un bus : « Mais ça devient de plus en plus difficile. Tout est plein. On est obligé de refuser des passagers, de dire aux gens de revenir le soir ou le lendemain… »
Allers simples
Pour les habitants de Kawangware, il y a urgence : il faut partir, et vite. Car les routes, elles aussi, risquent de devenir dangereuses. « En 2007, tout était bloqué. Il y avait des bus incendiés, des barrages sur la route partout », se souvient Andrew, le chauffeur du « Magic Madiba », en faisant vrombir son moteur. Lui-même conduisait en 2007 pendant les violences : « Les gens qu’on transporte aujourd’hui sont vus comme des supporters de l’opposition. Et traverser les zones pro-gouvernementales pourrait être très risqué pour eux si les élections tournaient mal. »
Le départ en masse des populations inquiète les politiques. En particulier le gouverneur de Nairobi, Evans Kidero, candidat à un nouveau mandat. Issu des rangs de l’opposition, il voit d’un mauvais œil la fuite d’une partie de ses électeurs luhya. « Nous ne voulons pas que vous rentriez à la maison ! », a-t-il lancé il y a quelques jours, appelant en urgence ses partisans à « adopter des stations de bus ». En clair : occuper des terminaux routiers et dissuader (voire empêcher de force) les électeurs de s’en aller.
Dans plusieurs stations, les militants du gouverneur vérifieraient aujourd’hui une à une les cartes d’électeur et les lieux de résidence des passagers avant de les laisser embarquer. Mais rien ne semble ralentir l’« exode » de Nairobi. À Kawangware, les bus sont pleins. Par peur ou par précaution, personne ne compte rentrer à Nairobi avant la fin des élections. Les tickets qu’on achète sont des allers simples. Pour le retour, on verra après le vote.