Centrafrique : « Le chef de l’Etat est un homme d’action mais qui ne parle pas beaucoup »
Centrafrique : « Le chef de l’Etat est un homme d’action mais qui ne parle pas beaucoup »
Propos recueillis par Cyril Bensimon
Théodore Jousso, porte-parole du gouvernement, répond aux critiques formulées à l’encontre du président Touadéra et demande à ses concitoyens de la patience.
Début août, l’opposant Anicet-Georges Dologuélé, candidat malheureux à la dernière élection présidentielle en Centrafrique, s’en est pris vertement au président Faustin-Archange Touadéra, considérant que le chef de l’Etat n’occupe pas sa fonction. Alors que l’espoir suscité par son élection en 2016 s’est dissipé avec les massacres de ces derniers mois, le porte-parole du gouvernement, Théodore Jousso, demande à ses concitoyens de la patience et aux hommes politiques centrafricains d’assister les autorités dans leur tentative de redressement du pays.
Anicet-Georges Dologuélé considère que la passivité du chef de l’Etat est le premier problème de la Centrafrique. Que lui répondez-vous ?
Théodore Jousso Il faut savoir raison garder et ce n’est pas dans le dénigrement que l’on trouvera des solutions pérennes aux problèmes qui se posent à notre pays. Tout ce qui est excessif est insignifiant et là, l’ancien premier ministre Dologuélé verse dans le dénigrement systématique des institutions de la République. Compte tenu de son expérience, il devrait plutôt faire des propositions constructives pour nous sortir de la situation présente, qui n’est pas très enviable.
En tant que patriotes, nous devrions plutôt nous serrer les coudes et, comme disait Guezo, le roi d’Abomey : « Si tous les fils du royaume venaient par leurs mains rassemblées boucher les trous de la jarre percée, le pays serait sauvé. » Nous avons besoin de toutes les contributions intellectuelles, matérielles et financières pour aider le gouvernement dans cette situation difficile.
Le président ne s’est pas rendu à Bangassou ou à Alindao, où ont été perpétrés en mai des massacres. Le pouvoir n’est-il pas trop absent et n’a t-il pas tendance à trop déléguer à la Minusca, la mission des Nations unies ?
Le président de la République est un homme d’action mais qui ne parle pas beaucoup. Il n’est pas très visible dans les médias mais il y a un travail de fond qui se fait. Concernant Bangassou, il faut s’y rendre en apportant des solutions concrètes aux concitoyens qui sont déplacés, à ceux qui sont blessés, à ceux qui ont perdu des êtres chers.
Depuis le début de cette crise, Bangassou a été relativement épargnée et subitement elle connaît les affres que les autres populations ont endurées ces quatre ou cinq dernières années. C’est une nouvelle donnée sur laquelle le gouvernement se penche. Le ministre des affaires sociales s’y est rendu à trois reprises avec les organisations humanitaires pour faire le point sur la situation et évaluer les besoins urgents, afin d’y apporter des réponses concrètes et rapides.
Quelles sont les mesures significatives engagées depuis l’accession au pouvoir du président Touadéra ?
Il y a d’abord la restauration de l’autorité de l’Etat sur toute l’étendue du territoire. Bien entendu, les groupes armés sont présents dans quatorze des seize préfectures. La cohabitation est parfois difficile, comme on l’a vu à Kaga-Bandoro, où je me rends souvent pour les besoins d’un projet d’aménagement de routes. J’ai vu dans cette ville comment la situation s’est dégradée. Maintenant, toute la population est en armes. Une grande partie des habitants se sont réfugiés autour de la base de la Minusca.
Ce n’est pas une situation facile mais le gouvernement, avec l’appui de la Minusca, tente de rassurer la population en lui donnant les moyens de développer une certaine résilience par rapport aux massacres et aux déplacements produits par la présence des groupes armés. Quand un village s’est totalement délité, tous les liens sociaux qui existaient se disloquent. Les gens perdent leurs repères, leurs liens familiaux. Le pays a besoin de panser ses plaies et cela prendra plus de temps qu’on ne le croit, car la situation sur le terrain est réellement dramatique.
Pourquoi la situation ne cesse-t-elle de se détériorer ?
Il y a un double langage que je n’arrive pas à expliquer. Les quatorze groupes armés se sont tous engagés dans un processus de désarmement. Ils ont signé tous les protocoles à Bangui, à Brazzaville, et se sont engagés encore une fois pour la paix avec la contribution de la communauté de Sant’Egidio. Mais sur le terrain, cela ne se traduit pas par un apaisement. Je pense qu’il y a une économie souterraine qui s’est développée, permettant à certaines personnes de s’enrichir à partir de trafics illicites compte tenu de la porosité des frontières. Il faudrait des solutions musclées pour amener progressivement les groupes armés à abandonner leur emprise sur les populations et les richesses du pays.
Aujourd’hui, avec l’appui des 12 000 casques bleus, vous n’êtes pas en mesure de contraindre les groupes au désarmement ?
Le mandat de la Minusca est suffisamment robuste, puisqu’il est placé sous le chapitre VII de la charte des Nations unies, qui permet l’emploi de la force pour maintenir ou rétablir la paix. Mais sur le plan des opérations militaires, il y a une revue des troupes à effectuer ainsi qu’un réarmement moral et tactique. Je ne suis pas spécialiste des questions militaires, mais je remarque qu’au départ il était beaucoup plus facile de désarmer, alors qu’aujourd’hui les groupes armés se sont renfloués et forment une menace pour la stabilité de l’ensemble du pays.
Le gouvernement ne croise pas les bras. Avec l’appui de la communauté internationale, il cherche par tous les moyens à desserrer l’étau. Le président a fait un très bon plaidoyer en juin, à New York, pour la levée progressive de l’embargo sur les armes qui frappe les forces armées centrafricaines. Je pense qu’avec ce nouveau dispositif, les bataillons qui sont formés par la mission européenne seront opérationnels et déployés sur le terrain.
Le grand avantage d’utiliser l’armée nationale est que nous parlons tous la même langue et, en termes de renseignements, même s’il y a des drones et des équipements, le facteur humain reste déterminant. Le déploiement et l’engagement des troupes centrafricaines dans cette bataille, à côté de la mission des Nations unies, devraient pouvoir changer l’équilibre des forces sur le terrain et ramener progressivement une paix durable dans notre pays.
A quelle échéance envisagez-vous de déployer ces soldats ?
C’est la grande question. Cela prendra du temps, car ce bataillon vient juste d’être formé. Il faut progressivement l’aguerrir, lui apprendre à travailler selon les règles d’engagement des Nations unies, partager un certain nombre de doctrines. Cela prendra certainement du temps avant d’avoir des forces matures sur le plan professionnel.
Il existe aujourd’hui des tensions entre le chef de l’Etat et le président de l’Assemblée nationale. La Centrafrique n’est-elle pas à la veille d’une crise institutionnelle ?
Il y a beaucoup de rumeurs à Bangui. Nous sommes de tradition orale et la population est friande de ces rumeurs. Ceci dit, je pense que les plus hauts responsables de l’Etat ont pleinement conscience que nous n’avons pas besoin de crise au sommet. Aujourd’hui, les priorités sont ailleurs. Il y a des problèmes de gouvernance et de sécurité qui doivent mobiliser toutes les énergies plutôt que de se perdre dans des querelles byzantines.
Je pense que le président de l’Assemblée, tout comme le président de la République, sont suffisamment responsables et que leur haute idée de leur charge leur permettra de voir ces problèmes avec un peu plus de sérénité, pour que la paix revienne dans notre pays. Nous n’avons vraiment pas besoin d’une crise politique au sommet de l’Etat. Le peuple en tirerait lui-même les conséquences si tel devait être le cas.