Les frères Morvan, légendes vivantes et mythe breton
Les frères Morvan, légendes vivantes et mythe breton
Par Frédéric Potet (Paimpol (Côte-d'Armor), envoyé spécial)
Spécialistes du « kan ha diskan », chant à danser a capella, les deux octogénaires sont systématiquement invités au Festival du chant de marin de Paimpol.
Les frères Morvan, vendredi 11 août à Paimpol. / Jean-Benoît Lemonnier
Au Festival du chant de marin, qui se déroule une année sur deux à Paimpol (Côtes-d’Armor), on peut voir et entendre beaucoup de groupes et de chorales – une cinquantaine – spécialisés dans les rengaines portuaires et autres chansons à hisser les voiles. Il y a aussi des têtes d’affiche de la musique traditionnelle et de la world music : Kassav’, Alan Stivell, Malicorne, Tinariwen et Calypso Rose cette année. Il y a enfin les frères Morvan. Les inoxydables frères Morvan.
A chaque édition du festival, ceux-ci sont systématiquement programmés sur la scène consacrée au fest-noz. Il en a toujours été et il en sera toujours ainsi tant qu’Henri Morvan, 85 ans, et son cadet de trois ans, Yvon, continueront à interpréter le kan ha diskan, cette technique de chant à danser a cappella dont la caractéristique, appelée tuilage, consiste à prolonger une phrase musicale d’un chanteur à l’autre, à la manière d’un témoin.
Séance de danse bretonne pendant la prestation des frères Morvan. / Jean-Benoît Lemonnier
Au départ, les frères Morvan étaient quatre. Tout a commencé en 1958, année qui vit Chuck Berry enregistrer Johnny B. Goode à Chicago et George Harrison rejoindre les Quarrymen de John Lennon et Paul McCartney à Liverpool. A Botcol, village de la commune de Saint-Nicodème (Côtes-d’Armor), les quatre garçons (bientôt dans le vent) d’Augustine Le Creff ont l’habitude de chanter pendant les veillées qui célèbrent la fin des travaux agricoles dans la ferme familiale, mais aussi à l’occasion des noces et enterrements.
Leur mère leur a transmis un répertoire traditionnel qu’elle-même a hérité de son père, né en 1852. En novembre 1958, le cercle celtique d’une commune voisine leur propose alors de se produire lors d’un fest-noz payant avec sonorisation. Ce sera le premier d’une très longue série. Le quatuor sera amputé d’un premier membre en 1984 avec la mort d’Yves, puis d’un deuxième en 2012 avec la disparition de François.
Légendes vivantes de la musique celtique avec leurs chemises à carreaux et leurs casquettes rappelant leurs origines paysannes, Ar Vreudeur Morvan – les frères Morvan en breton – incarnent la transmission de la culture orale du Centre Bretagne, comme les sœurs Goadec en leur temps. Ils connaissent, de mémoire, environ 80 chansons, certaines atteignant les 100 strophes, qu’ils interprètent sur scène au hasard de leur inspiration.
Yvon et Henri Morvan, 82 et 85 ans. / Pirphot
« On a tendance à chanter un peu les mêmes en ce moment. L’ordinateur interne commence à tourner à l’envers », s’amusent les deux octogénaires qui ont réduit à une cinquantaine le nombre de leurs prestations annuelles alors qu’il atteignit plus du double au début des années 2000, avec le renouveau de la musique celtique.
Un mythe tenace prétend que les « Frères » ont chanté dans toutes les communes bretonnes ayant la capacité d’organiser un fest-noz. C’est sans doute exact : « Je regrette de n’avoir jamais noté sur un cahier les endroits où nous sommes passés », indique Yvon Morvan. Son frère aîné se souvient, lui, d’avoir chanté sur tout type de scène, « même dans des poulaillers, entre deux batteries de volailles ».
Seule certitude, les frères Morvan n’ont jamais poussé la gavotte au-delà de la Bretagne. Question de principe : « Je n’ai même jamais mis les pieds en France. J’ai décidé cela un jour ; j’ai tenu ma parole », se rengorge avec humour Henri Morvan, qui raconte n’avoir jamais pris le train de sa vie.
Il se dit aussi, de Brest à Redon, que les Morvan ne se font pas payer. C’est à moitié vrai. « Nous n’avons jamais voulu adopter le statut d’intermittent du spectacle afin de ne pas être liés à des contrats qui auraient entravé notre liberté. Nous sommes avant tout des petits agriculteurs, chanteurs à l’occasion », expliquent-ils. Ce faisant, les anciens exploitants d’une ferme n’ayant jamais dépassé les « cent bêtes à cornes » laissent aux organisateurs de concerts le soin de leur donner une enveloppe, du montant de leur souhait : « Nous n’avons jamais imposé de cachet à qui que ce soit. »
Les frères Morvan se produisent une cinquantaine de fois par an, et seulement en Bretagne. / Jean-Benoît Lemonnier
Les frères Morvan, enfin, sont connus pour accepter toutes les dates qu’on leur propose. A condition que leur agenda le leur permette. Et que la santé le veuille bien. « Tant que notre langue ne sera pas usée, on continuera de chanter », assènent-ils. Aucun des deux n’a d’enfant. La transmission de leur répertoire se fait déjà par l’intermédiaire des disques qu’ils ont enregistrés, et d’un recueil de textes qu’ils ont dictés, Les Trésors de Botcol (Coop Breizh).
En 2018, ils fêteront leurs 60 ans de carrière. « Pas de carrière, mais de prestations, corrige Henri Morvan. Notre métier n’est pas de chanter, c’est la paysannerie. »
Festival du chant de marin, à Paimpol jusqu’au 13 août.