Africa Global Recycling, la PME togolaise qui transforme les déchets en or
Africa Global Recycling, la PME togolaise qui transforme les déchets en or
Par Morgane Le Cam (contributrice Le Monde Afrique, Lomé)
L’Afrique en villes (15). A Lomé, l’entreprise s’est lancé un défi : rendre la gestion des déchets rentable, pour elle comme pour ses clients.
« La phrase la plus dangereuse du monde : on a toujours fait comme ça. » Sur le tableau blanc énumérant les prévisions hebdomadaires, la maxime n’est jamais effacée. A quelques mètres de là, un chariot élévateur déverse des milliers de bouchons par terre. Debout sur des balles de cartons conditionnés, deux salariés veillent au bon déroulement de l’opération pendant que trois autres trient méthodiquement des lamelles de papier. Une centaine de tonnes de déchets arrivent chaque mois dans cet entrepôt de Lomé.
Le pari d’Africa Global Recycling (AGR), une PME togolaise implantée dans la capitale depuis 2013, c’est que le déchet soit bien plus qu’un déchet – c’est d’ailleurs le slogan de l’entreprise. « Nous avons une cinquantaine de clients, des industriels, des écoles, des administrations publiques, à qui nous proposons une solution globale de gestion de leurs déchets recyclables », explique Edem d’Almeida, le fondateur d’AGR, en faisant le tour du propriétaire. Les déchets, il connaît : le jeune patron a fait ses classes en France, chez Suez Environnement.
Tri à la source
A Lomé, comme dans beaucoup de villes ouest-africaines, le tri des ordures n’existe quasiment pas. « Pour l’instant, la seule réponse apportée à la question de la gestion des déchets est l’enfouissement ou les décharges. Ce sont des solutions d’urgence », regrette Edem d’Almeida en contrôlant la presse à balles sur laquelle est posé un gros cube compacté de bouteilles en plastiques. « Nous conditionnons les déchets pour optimiser les coûts de transport. Après, ça part en Afrique, en Asie et en Europe. »
Ici, les déchets ne sont pas seulement triés, ils sont ensuite revendus à des entreprises qui les transformeront en livres, en tuyaux d’irrigation, en bâches agricoles, en cartons… Une partie de l’argent issu de la vente est reversée au client chez qui AGR a enlevé les déchets. Le client devient alors vendeur et le déchet une matière première.
Ce modèle économique de compensation financière, Edem d’Almeida y croit dur comme fer. « Prenons l’exemple des papiers de bureau. Nous allons facturer à nos fournisseurs 10 ou 15 francs CFA [environ 0,02 euro] pour un kilo collecté. Nous allons les trier, les conditionner et les vendre 20 ou 25 francs CFA le kilo. Une partie de la différence va revenir à AGR et l’autre au fournisseur. Ça allège le coût de sa gestion des déchets. »
Depuis la création d’AGR, près d’un million d’euros ont déjà été reversés à ses entreprises clientes. « J’aime rappeler qu’une bonne gestion des déchets – et, au-delà, la lutte pour la sauvegarde de la planète – ne pourra se faire que si elle est rentable. C’est malheureux mais c’est comme ça. » Edem d’Almeida est pragmatique. Mais au-delà de cette logique économique, ce système de tri à la source est aussi un moyen de faire baisser la quantité de déchets déversés dans les décharges.
Innovation sociale
Dans l’entrepôt de 600 m2, une dizaine de salariés continuent de séparer les bouchons rouges des bleus, les papiers fins des cartons, et de démonter frigos, téléviseurs et micro-ondes. Quarante-cinq types de déchets recyclables passent entre les mains des 20 employés d’AGR. « Vous voyez, cet homme était sans-abri. Aujourd’hui, il a pu obtenir un prêt pour se loger », se félicite Edem d’Almeida en se tournant vers l’intéressé. Le Togolais voit en son entreprise un laboratoire d’innovation sociale.
« Les salariés sont issus de différents milieux. Vous en avez qui n’ont jamais été à l’école et qui se retrouvent aujourd’hui chefs d’équipe, s’enthousiasme le chef d’entreprise. A partir du déchet, on a la possibilité de redonner ses lettres de noblesse à une génération qu’on dit souvent sacrifiée, à des personnes en grande précarité qui pensent qu’elles n’ont pas le droit de réussir parce qu’elles ne sont pas allées à l’école. Ici, nous prouvons que c’est faux et que, oui, c’est possible de faire autrement. » D’ici à la fin de l’année, entre cinq et dix nouveaux salariés seront recrutés. Dans neuf mois, Edem d’Almeida espère avoir doublé ses effectifs.
Le sommaire de notre série « L’Afrique en villes »
Cet été, Le Monde Afrique propose une série de reportages dans seize villes, de Kinshasa jusqu’à Tanger.