Messages, blocages et démission : après Charlottesville, la Silicon Valley réagit
Messages, blocages et démission : après Charlottesville, la Silicon Valley réagit
Plusieurs figures de la Silicon Valley ont dénoncé ce rassemblement d’extrême droite, mais les réactions restent dans l’ensemble relativement mesurées.
« Chaque génération doit être prête à combattre le type de sectarisme et de haine qui a été affiché par les suprémacistes blancs à Charlottesville. » Sheryl Sandberg, la numéro deux de Facebook, n’a pas mâché pas ses mots dans un message, publié lundi 14 août sur le réseau social.
Samedi, une femme a été tuée par un automobiliste qui a foncé dans une foule de manifestants venus protester contre un rassemblement de militants d’extrême droite à Charlottesville, en Virginie. La tenue de ce rassemblement, la mort de cette femme et la condamnation timide de Donald Trump, qui a immédiatement suivi ont généré une polémique aux Etats-Unis. Les entreprises de la Silicon Valley, qui se montrent de plus en plus politisées, ont elles aussi réagi de différentes manières.
Le PDG d’Intel cesse de conseiller Donald Trump
La réaction la plus forte a, sans doute, été celle du PDG d’Intel, Brian Krzanich, qui a annoncé lundi qu’il démissionnait de ses fonctions de conseiller économique de Donald Trump après les propos de ce dernier dénonçant la violence « de tous les côtés » – à l’instar de Kenneth Frazier, PDG des laboratoires Merk. « Nous devrions honorer – et non attaquer – ceux qui se sont levés pour l’égalité et autres valeurs américaines que nous chérissons », a-t-il déclaré.
Sheryl Sandberg et Brian Krzanich sont toutefois les seuls grands noms du secteur à avoir décidé de s’exprimer publiquement. Le PDG de Microsoft, Satya Nadella, a, quant à lui, transmis à ses salariés un e-mail, publié par le site Quartz, dénonçant les événements « horribles » de Charlottesville :
« Il n’y a pas de place dans notre société pour la discrimination, le sectarisme et la violence insensée que nous avons vus ce week-end en Virginie de la part de nationalistes blancs. (…) en tant que chefs d’entreprise, une partie de notre rôle consiste à créer une culture où chaque personne peut travailler de son mieux, ce qui nécessite plus que de la tolérance. »
Un site néonazi bloqué
Plus discrètement, d’autres entreprises du secteur ont bloqué certains contenus en ligne liés à Charlottesville. Le gestionnaire de noms de domaines GoDaddy a par exemple fait savoir lundi qu’il cesserait de fournir ses services au site néonazi The Daily Stormer, après la publication d’un article insultant la femme tuée à Charlottesville. GoDaddy, qui estime que le site « viole [ses] conditions d’utilisation », lui a laissé vingt-quatre heures pour trouver une autre entreprise vers laquelle se tourner. Le site a donc tenté de déplacer son nom de domaine chez Google, qui lui a adressé une fin de non-recevoir, pour la même raison, selon un porte-parole de l’entreprise cité par ReCode. Mardi matin, le nom de domaine dailystormer.com, désactivé par GoDaddy, affichait un message d’erreur.
De son côté, Facebook a commencé à bloquer les publications renvoyant vers cet article, partagé des dizaines de milliers de fois sur le réseau social. Ces publications violent ses règles, affirme l’entreprise, à moins que le lien vers cet article ne soit accompagné d’un message le condamnant. Facebook avait aussi, durant le week-end, supprimé la page officielle du rassemblement. « Facebook ne tolère pas les discours haineux, l’apologie du terrorisme ou des crimes de haine », a déclaré un porte-parole de l’entreprise au site Business Insider.
La plate-forme de discussions Discord a, quant à elle, annoncé lundi qu’elle avait désactivé un salon de discussions et plusieurs comptes « associés aux événements de Charlottesville » :
« Nous continuerons à agir contre les suprémacistes blancs, l’idéologie nazie et toutes les formes de haine. »
La plate-forme de locations saisonnières Airbnb avait, de son côté, réagi avant le rassemblement, en bannissant des comptes et annulant les réservations de plusieurs personnes ayant prévu de s’y rendre.
Des réactions relativement timides
Malgré ces éléments, les réactions des entreprises de la Silicon Valley restent relativement timides par rapport à d’autres événements sur lesquels elles avaient fait connaître leur opinion. Elles s’étaient, par exemple, manifestées dans une lettre ouverte pour apporter leur soutien à l’accord de Paris sur le climat alors que Donald Trump s’apprêtait à en sortir, avaient publiquement dénoncé le décret anti-immigration du président américain et avaient aussi soutenu les droits des personnes transgenres, remis en cause par l’administration Trump. Cette fois, les déclarations publiques restent rares, et les décisions de bloquer certains contenus sont souvent expliquées laconiquement par le simple non-respect des règles des plates-formes.
C’est que le sujet est potentiellement délicat pour les géants du Web. Ces entreprises sont souvent pointées du doigt pour ne pas supprimer certains contenus ouvertement racistes, néonazis ou suprémacistes blancs. Par manquement de leur système de modération, mais aussi parce que certains discours ne sont pas interdits par les règles d’utilisation de ces plates-formes, ni par la loi américaine. Si Facebook et Twitter bannissent, par exemple, la promotion de la violence, ils n’interdisent pas le nationalisme blanc en tant que tel. Par exemple, le compte de David Duke, ancien responsable du Ku Klux Klan, est toujours actif. S’il évoque le « privilège noir », la « haine contre les Blancs » et le « suprémacisme juif », il évite soigneusement de transgresser clairement les règles du réseau social en n’appelant pas à la violence.
Zone grise
Ce qui met ces plates-formes dans une situation compliquée. YouTube a, par exemple, annoncé cet été qu’il comptait mettre en place de nouvelles sanctions contre les vidéos situées dans cette zone grise : elles ne sont pas interdites par le règlement de YouTube mais « contiennent des contenus religieux ou suprémacistes controversés ». Celles-ci ne seront pas supprimées mais verront leur visibilité limitée et n’auront plus accès à certaines fonctionnalités.
Il est aussi possible que la récente polémique ayant suivi le licenciement par Google de l’auteur d’un manifeste sexiste explique en partie la retenue des géants du Web. L’entreprise, notamment accusée par cet homme d’imposer un « biais de gauche », d’entretenir une « monoculture politiquement correcte » et d’empêcher les opinions dissidentes de s’exprimer, a, depuis ce licenciement, été violemment accusée de violer la liberté d’expression et d’imposer sa vision politique.