Une enquête ouverte en Essonne après la mort d’un homme en garde à vue
Une enquête ouverte en Essonne après la mort d’un homme en garde à vue
Par Julia Pascual
Le motard âgé de 34 ans, arrêté pour excès de vitesse, se serait suicidé, selon les policiers, en se pendant avec ses chaussettes. La famille met en cause cette version.
Le commissariat de police d’Arpajon rue Bobin. / Google Street image
Une instruction judiciaire en recherche des causes de la mort a été ouverte le 26 juillet au tribunal de grande instance d’Evry après qu’un homme de 34 ans est décédé à la suite de sa garde à vue dans les locaux du commissariat d’Arpajon. Comme le révélait Mediapart mardi 15 août, Lucas M. avait été arrêté en fin de journée le lundi 3 juillet pour un excès de vitesse à moto. Il est alors conduit au commissariat et placé en garde à vue.
Peu après 22 heures, des policiers se rendent au domicile de ce chef mécanicien et préviennent sa femme qu’il a commis une tentative de suicide par pendaison et qu’après un arrêt cardio-respiratoire il a été transporté à l’hôpital. Il aurait utilisé ses chaussettes pour mettre fin à ses jours, en les coinçant dans les trous d’aération de la porte de sa geôle de garde à vue. Dans le coma pendant plusieurs jours, il décède le 8 juillet.
Une enquête préliminaire est d’abord ouverte au parquet d’Evry en recherche des causes de la mort. Confiée à l’inspection générale de la police nationale, la police des polices, elle débouche fin juillet sur l’ouverture d’une information judiciaire, confiée à un magistrat instructeur.
« Version incohérente »
De leur côté, la femme, le fils et la fille adoptive de Lucas M. ont déposé plainte contre X le 25 juillet, notamment pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner par une personne dépositaire de l’autorité publique. Cette plainte, que Le Monde a consultée, met en doute la « version incohérente et peu crédible défendue par les policiers ». D’après l’un d’entre eux, ainsi que le rapporte la plainte, Lucas M. se serait étranglé en nouant ses chaussettes entre elles. Pour l’avocat de sa famille, Jean Tamalet, le sillon visible autour du cou de Lucas M., large d’un à cinq millimètres, est trop fin et « incompatible avec l’utilisation de chaussettes ». « Tout est ouvert, poursuit-il. Je n’exclus pas un acte de contention mal maîtrisé dans lequel la personne est allongée au sol et tirée en arrière par le col de son polo. »
Autre hypothèse avancée par l’avocat : Lucas M. se serait bien suicidé, mais il aurait utilisé un lacet de ses chaussures que les policiers auraient omis de lui retirer, comme c’est l’usage lorsqu’une personne est laissée seule en cellule. « Un infirmier réanimateur de l’hôpital m’a rapporté que le médecin du SAMU qui avait transporté Lucas M. avait indiqué l’étranglement par lacet », assure Me Tamalet, qui pense que les policiers ont pu paniquer et voulu maquiller la scène, de peur de se faire sanctionner.
« Interpellation musclée »
Sollicité, le procureur d’Evry, Eric Lallement, souhaite que « tout se fasse dans la plus grande transparence ». Il précise que si l’autopsie réalisée par deux experts a conclu à la mort par pendaison, elle n’a pas permis de déterminer si Lucas M. s’était donné la mort à l’aide d’un lacet ou d’une chaussette. « Les deux hypothèses sont possibles, reconnait-il. J’ai ouvert une information pour approfondir un certain nombre d’expertises. »
« Nous avons besoin de réponses techniques et scientifiques », insiste Me Tamalet. Qui s’étonne que deux policiers aient déposé plainte le 4 juillet pour violences, alors que Lucas M. était « mourant ». « Les policiers assurent que l’interpellation s’est déroulée de façon musclée, qu’ils ont dû menacer d’employer leurs Taser pour pouvoir finir de menotter Lucas M. Ils lui reprochent un grand excès de vitesse, une mise en danger de la vie d’autrui, une rébellion, un refus d’obtempérer. »
Une description troublante, d’après l’avocat, compte tenu du fait que, juste après son interpellation, Lucas M. a joint sa femme par téléphone à deux reprises, pour l’avertir de son arrestation et de son placement en garde à vue, sans signaler d’incident particulier. Troublante, aussi, compte tenu de la personnalité du défunt. « C’est un père de famille très calme, qui ne consomme pas de stupéfiants ni de médicaments, dit Me Tamalet. Il n’avait pas de double vie, n’avait commis aucune tentative de suicide ni vécu aucun épisode dépressif. »