Le jardin partagé de Jacques Lenoir, une oasis pour les réfugiés de Vichy
Le jardin partagé de Jacques Lenoir, une oasis pour les réfugiés de Vichy
Par Maryline Baumard (envoyée spéciale à Vichy)
Ce retraité met à la disposition des nouveaux arrivants un bout de terre où, ensemble, ils cultivent tomates et herbes aromatiques.
Jacques Lenoir approuve la qualité du son avant le concert des Soudan Célestins Music, dans le parc des Bourrins, à Vichy, le 14 juillet 2017. / SANDRA MEHL POUR LE MONDE
Un matin, Jacques Lenoir a été tiré de son sommeil par une idée fixe. Celle que Rezan devait être protégé par la France. C’est ce qu’il s’est encore répété en avalant un petit-déjeuner et en s’attelant au dossier de ce jeune Kurde pour qui il prépare un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).
À 67 ans, ce Vichyssois d’adoption né à Paris vient de finir une formation pour défendre les migrants qui font appel de leur refus du droit d’asile. Durant des semaines, il a observé et interrogé une bénévole chevronnée de la Cimade, à Clermont-Ferrand, retenant ses arguments juridiques, sa façon de monter les dossiers. À la rentrée, après un stage en droits des étrangers à Paris, il ouvrira à Vichy une annexe de l’association pour que les exilés de sa ville aient un espace juridique où se référer. Un nouveau combat pour cet homme qui en est déjà à sa seconde vie.
Cultures biologiques
Avant 2013, ce maître d’œuvre en bâtiment, qui gagnait bien sa vie dans le Jura, n’avait rien contre la société de consommation. « Je ne renie pas cette période où j’évoluais dans le confort matériel, mais je suis passé à autre chose », explique celui qui, il y a quatre ans, a troqué l’avoir pour se centrer un peu plus sur l’être et porte désormais sur le monde un regard plus protecteur, plus respectueux de la terre et des hommes.
« Avant, je n’aurais sans doute pas prêté attention aux réfugiés. Aujourd’hui ils font partie de mon environnement », commente celui qui, comme eux, a vu la mort de près. Son ennemi à lui, ce n’était pas un gouvernement liberticide, mais une maladie. Une expérience qui les rapproche sans doute, inconsciemment, et les rend plus enclins à célébrer ensemble la première « fête de la vie » que Jacques veut organiser dans le jardin partagé, à l’automne, quand la terre aura donné ses récoltes estivales.
Car pour les réfugiés, Jacques est devenu l’homme du jardin, celui qui a mis à leur disposition un lopin de terre et tout ce que celui-ci peut offrir : des herbes aromatiques, des tomates ou des courges. Des cultures bios, respectueuses du sol. Ce n’est pas pour rien que Jacques s’est offert une semaine de stage chez le pionnier de l’agriculture biologique Pierre Rabhi. Il n’en est pas sorti expert mais il a appris « à aimer la terre », dit-il. « Et j’essaie aujourd’hui de transmettre cet amour. »
Cette année, son jardin vivote doucement. Mais l’an dernier, c’était un pôle de rencontre, de partage et un espace pour souffler un peu, oublier la pression quotidienne. « Quasiment tous les Soudanais en attente de leur statut de réfugié, et quelques Afghans aussi, sont venus régulièrement arracher l’herbe, arroser », observe le maître des lieux, qui a même pu faire de la confiture de tomates avec Mohamad Omar, l’un d’entre eux, tant la récolte était abondante.
Pour lancer cette aventure, les Jardins de Cocagne – une entreprise solidaire où travaille désormais un autre réfugié, Hassan – ont offert des graines, des plants, et prêté les services d’un jardinier professionnel afin que le lieu démarre sur de bonnes bases. Mais cette année, les plantes poussent un peu moins. Devenus réfugiés, les acteurs initiaux du projet se sont focalisés sur l’apprentissage du français, la quête d’un emploi, et ont consacré moins de temps à ce lieu. La relève n’est pas encore arrivée.
Un noyer et deux pommiers
Entre Jacques et les migrants, l’histoire avait commencé un soir de réunion. « Nous avons un rendez-vous régulier, baptisé Confluences, où les associations se rencontrent pour mettre en commun des combats. Nous discutions un soir du lancement d’une monnaie locale, au printemps 2016, quand un gars a déboulé au milieu, nous a présenté le groupe de Soudanais qui l’accompagnaient, nous disant qu’ils avaient besoin d’une aide pour s’intégrer, et est reparti comme il était venu », se souvient-il.
Embarqué dans un divorce compliqué, logé dans un petit appartement, bénéficiaire d’une maigre retraite, Jacques ne voyait pas bien ce qu’il pourrait donner. Jusqu’au moment où il a imaginé offrir un bout de son terrain. En périphérie de Vichy, Jacques est propriétaire de 2 hectares où broutent ses deux ânes, Véliotte et Wiwi, et où Effie aime dégourdir ses petites pattes de chihuahua. Un carré de verdure vallonné avec un noyer et deux pommiers, sur lequel il rêve de s’installer lorsqu’il aura remis sur pieds la petite cabane en bois qui y sert pour l’heure aux ânes. Sa proposition a plu. Son lieu a séduit pour la paix qu’il offre à deux pas de la ville.
Faute de disposer d’une salle de répétition, c’est aussi sous le noyer que les musiciens des Soudan Célestins Music (le groupe de réfugiés dont Le Monde suit les premiers pas en France) travaillent leur voix, parfois le soir, accompagnés par Hassan au clavier. À l’heure où le soleil se couche sur Vichy, des mélodies soudanaises rebondissent sur les deux côtés du vallon. Chapeau sur la tête, assis sur sa couverture à carreaux, Jacques profite de ce moment.