Mohammed El Bellaoui, alias « Rebel Spirit », auteur de BD à Casablanca, au Maroc. / DR

Si seulement Casablanca pouvait parler ! « Elle nous raconterait des histoires de fou. Des histoires d’amour, déguisées, noyées dans son chaos ambiant. » C’est sans doute lui, la voix de Casablanca. Mohammed El Bellaoui, alias Rebel Spirit, street-artiste et grand admirateur de sa ville natale. Sur le mur d’un immeuble ou dans son carnet de croquis qu’il emporte toujours sur lui, il peint ou griffonne les scènes les plus crues du quotidien casablancais : les embouteillages, les klaxons, les bagarres, la pagaille. « Moi, je vois la beauté dans le désordre. »

Présentation de notre série : L’Afrique en villes

Rebel Spirit nous a donné rendez-vous dans un café place des Nations unies, au cœur de Casablanca. Evidemment. « C’est le meilleur endroit de la ville », dit-il, sourire en coin. L’artiste de 28 ans s’attable à cette terrasse de café presque tous les soirs pour assister au théâtre de la vie casablancaise. Quartier d’affaires le jour, la place se mue la nuit tombée en une agora pleine de vie. « Cette place concentre toute l’effervescence de la ville, c’est ma principale source d’inspiration. Je me fonds dans la masse et j’observe l’attitude des Casaouis parfois pendant plusieurs heures. J’absorbe les ambiances, les comportements. Ensuite, je dessine. »

L’appel de l’adrénaline

Cette capacité à arrêter le temps pour raconter sa ville, Mohammed El Bellaoui l’a depuis son adolescence, passée à taguer les objets qui façonnent le paysage urbain. « Pour les sensations fortes, pour se faire courir après par les flics. » Dix ans plus tard, l’appel de l’adrénaline est toujours là. « Je ne me balade jamais sans mes marqueurs. Avec mes potes, il nous arrive encore de graffer à l’arrache, sur les affiches publicitaires par exemple. »

Au fil du temps, les murs de la vieille médina sont devenus leurs toiles ; la ville, une œuvre d’art éphémère où les street-artistes casablancais marquent leur territoire. « C’est notre manière à nous de montrer qu’on existe », rappelle Rebel Spirit. Tous sont les enfants de la génération « Nayda » (« réveil », en arabe), une sorte de Movida marocaine qui a enflammé la scène culturelle et à laquelle les réseaux sociaux ont donné un espace d’expression.

Originaire d’un quartier ouvrier de Casablanca, Rebel – prononcez en roulant le « r » – est passionné d’art urbain et de culture underground. Mais la bande dessinée reste le centre de son travail. Après le bac, il intègre l’Ecole supérieure des beaux-arts de Casablanca. « Mes parents étaient inquiets. Ils auraient préféré que je devienne avocat ou comptable, surtout que le citoyen marocain ne s’intéresse pas à l’art. Mais je suis allé jusqu’au bout ! »

Image tirée du « Guide casablancais », une BD de Rebel Spirit. / Rebel Spirit

En 2013, il publie sa première création : Le Guide casablancais, une BD consacrée à la vie quotidienne dans la métropole. On y visite le Casablanca de tous les jours, guidés par des personnages hauts en couleur. « Mes protagonistes sont des gens que l’on côtoie fréquemment mais sur lesquels on ne s’arrête pas : dans les transports en commun, après un match de foot. En même temps, j’ai voulu mettre en valeur l’histoire de la ville, l’architecture art-déco », explique l’auteur. Le choix de la langue, la darija (arabe dialectal marocain), n’est pas anodin. « J’ai voulu faire parler les langages de rue, crus, agressifs. Bref, le vrai Casa. »

« On ne s’ennuie jamais »

C’est vrai que Casablanca n’est pas toujours très propre, calme ou organisée. Tous les jours, ses habitants se plaignent du bruit, de la pollution, de la circulation chaotique. « Mais Casa est merveilleuse, assure Mohammed El Bellaoui. Ici, on rencontre des gens de toutes les catégories, de toutes les régions du Maroc et du monde. On ne s’ennuie jamais à Casablanca. Il y a une multitude de vies, chacune raconte une histoire passionnante. J’observe ces détails insignifiants qui font pourtant toute la beauté de la ville. »

A tous ceux qui rêvent de la quitter pour se lancer dans l’aventure européenne, Rebel Spirit reproche une forme de lâcheté. « Au lieu de croire à l’eldorado occidental, commençons par encourager le développement dans notre propre pays. Les jeunes doivent s’impliquer davantage dans la rue. Il n’y a pas que les matchs Wydad contre Raja [les deux clubs de football de la ville] », tempête l’artiste, qui regrette le manque d’espaces publics. « Seuls les SDF profitent des rares parcs. Personne ne prend plaisir à s’asseoir sur un banc. On ne marche plus. La société de consommation a gagné du terrain au Maroc. »

Sur les pas des graffeurs de Casablanca

Pour égayer les artères de sa cité, Rebel Spirit a pris la direction de « CasaMouja » (« mouja » signifie vague en arabe), une série de fresques murales qui propose un itinéraire de Casablanca à travers l’art. Cette fois, le projet est financé par la ville. « Pour réaliser de telles fresques, il faut des autorisations et un sacré budget pour les nacelles, la peinture, etc. Nous sommes dépendants des institutions. »

En parallèle, le bédéiste prépare le second chapitre de son Guide casablancais, dont le premier tome est déjà épuisé. La suite raconte les péripéties d’un couple non marié à la recherche de lieux d’intimité. Des histoires d’amour interdites éparpillées dans Casablanca, que seul Rebel Spirit a le pouvoir de démasquer.

Le sommaire de notre série « L’Afrique en villes »

Cet été, Le Monde Afrique propose une série de reportages dans seize villes, de Kinshasa jusqu’à Tanger.