Le pèlerinage à La Mecque, miroir des tensions au Proche-Orient
Le pèlerinage à La Mecque, miroir des tensions au Proche-Orient
Par Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
Quasi-absence des Qataris, retour en masse des Iraniens : l’édition 2017 doit débuter mercredi. Plus de deux millions de musulmans sont attendus.
Des pèlerins iraniens arrivent à l’aéroport de Djeddah (Arabie saoudite), le 26 août. / KARIM SAHIB / AFP
Deux millions de fidèles sont attendus dans le premier lieu saint de l’islam, dans l’ouest de l’Arabie saoudite, à partir de mercredi 30 août. Tous les musulmans qui en ont les moyens sont tenus d’effectuer, au moins une fois dans leur vie, ce rituel, qui est l’un des cinq piliers de l’islam. Du fait de la crise en cours entre le Qatar et l’Arabie saoudite, le contingent de pèlerins originaires de la presqu’île risque d’être très limité cette année.
La Commission nationale des droits de l’homme du Qatar, qui est liée au pouvoir, estime que seulement « 60 à 70 » ressortissants de l’émirat étaient parvenus, la semaine dernière, à se rendre à La Mecque. Côté saoudien, les estimations, bien que plus élevées, restent également modestes. Certains médias parlent de 1 200 pèlerins en provenance du Qatar, soit une chute de 90 % par rapport aux 12 000 fidèles recensés l’année dernière.
Doha est à couteaux tirés avec Riyad mais aussi Abou Dhabi, qui l’accusent de complaisance à l’égard du terrorisme djihadiste et de l’Iran. Début juin, ces deux capitales, imitées par Manama et Le Caire, ont rompu leurs liens diplomatiques et économiques avec le Qatar. Sa seule frontière terrestre ayant été verrouillée par l’Arabie saoudite, et l’accès au port dubaïote de Djebel Ali lui étant désormais interdit, la cité-Etat a dû mettre en place de nouvelles lignes de ravitaillement, par la mer et les airs, à partir de la Turquie, de l’Iran et du Pakistan.
Ses adversaires exigent, en échange de la levée de leur blocus, que Doha ferme la chaîne Al-Jazira, caisse de résonance de sa diplomatie, révise à la baisse ses relations avec l’Iran et rompe avec les Frères musulmans, une organisation jugée « terroriste » par la monarchie saoudienne et la fédération émiratie. Ces deux Etats refusant tout compromis, et le Qatar estimant que leurs demandes s’apparentent à une violation inacceptable de sa souveraineté, les efforts de médiation du Koweït et des Etats-Unis ont échoué.
Soucieux de ne pas être accusé de « politiser » le hadj, Riyad a fait un geste, mercredi 16 août, en rouvrant, pour les pèlerins, le terminal de Salwa, à la frontière avec le Qatar. Le roi Salman, gardien des deux mosquées sacrées, de La Mecque et de Médine, a de surcroît annoncé que des avions de ligne saoudiens seraient envoyés, à ses frais, à l’aéroport de Doha, pour transporter les candidats au hadj qataris. Depuis le début de la crise, les appareils de la Qatar Airways n’ont plus le droit d’emprunter l’espace aérien saoudien.
Climat d’extrême tension
Ces annonces n’ont cependant pas eu l’effet escompté. Selon la chaîne Al-Jazira, le nombre de Qataris se présentant au poste de Salwa reste très en deçà de la normale, en une veille de hadj. Des pèlerins auraient été refoulés en raison de leur refus de signer un document par lequel ils s’engageaient à rentrer dans leur pays avant une date-butoir.
Le fait que les annonces saoudiennes soient intervenues à l’issue d’une rencontre à Djeddah entre le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman et un membre de la famille régnante qatari, le cheikh Abdallah Ben Ali Al-Thani, agissant en son nom propre, a hérissé les autorités de Doha. La démarche de ce dignitaire, membre d’une branche de la famille Al-Thani au pouvoir dans les années 1950 et 1960, a été interprétée comme une tentative de déstabilisation de Tamim Ben Hamad Al-Thani, l’actuel émir.
La discorde a grimpé d’un cran supplémentaire, lorsque, dimanche 20 août, le pouvoir saoudien a accusé sa bête noire d’avoir interdit à ses avions, censés embarquer les pèlerins, d’atterrir à Doha. Des allégations rejetées par le Qatar, qui a renvoyé la balle dans le camp de son ennemi, en affirmant ne pas avoir reçu de réponse à ses questions sur le déroulement du voyage et la sécurité de ses ressortissants. Mardi 22 août, en conclusion de cet imbroglio, qui témoigne de l’extrême tension régnant dans le Golfe, Doha a déclaré craindre pour ses pèlerins.
« Au vu de la situation actuelle, le ministère (...) redoute (…) une répétition des intimidations ayant visé les citoyens [de ce pays] en juin », a affirmé le ministère des affaires religieuses.
Début juin, les médias du Qatar avaient indiqué que des habitants du petit émirat gazier n’avaient pas été autorisés à pénétrer dans la Grande mosquée de La Mecque.
Les pèlerins chiites de retour
Pour ce qui est du contingent iranien, la situation est rigoureusement inverse. Absents l’année passée, les pèlerins chiites sont de retour à La Mecque où plusieurs dizaines de milliers d’entre eux sont déjà arrivées. Les journalistes de la télévision d’Etat iranienne Irib, qui ont visiblement reçu des consignes de modération, insistent sur la qualité de l’organisation mise en place dans la ville sainte.
L’année dernière, les croyants iraniens avaient fait les frais de la rupture des relations diplomatiques entre leur pays et l’Arabie saoudite. La décision avait été prise par la couronne saoudienne en réaction au saccage de son ambassade à Téhéran, en janvier 2016, elle-même consécutive à l’exécution par Riyad d’un célèbre dissident chiite saoudien, le cheikh Nimr Al-Nimr. Les deux Etats, en compétition pour la suprématie régionale, s’affrontent directement ou indirectement, par les armes ou par les mots, dans plusieurs pays du Proche-Orient, comme le Yémen, la Syrie, l’Irak et le Liban.
La participation iranienne au pèlerinage, dont chaque détail a été soupesé, au cours de tractations bilatérales de plusieurs mois, s’inscrit dans une phase de timide dégel. Outre le pèlerinage, les deux rivaux se sont accordés sur des visites croisées de leurs diplomates, chargés d’inspecter l’état de leur ambassade et consulats respectifs, fermés depuis plus d’un an et demi. Ces mesures interviennent alors que les dirigeants saoudiens ont entrepris de renouer le contact avec leurs homologues chiites de Bagdad, alliés de Téhéran. Prémices de normalisation irano-saoudienne ou bien répit sans lendemain ? Les prochaines semaines le diront.