En Inde, décollage immédiat pour l’au-delà
En Inde, décollage immédiat pour l’au-delà
M le magazine du Monde
Terminal des départs, portes d’embarquement, bruits de réacteurs : un crématorium ressemblant à s’y méprendre à un petit aéroport doit être inauguré fin octobre dans l’Etat du Gujarat.
Deux répliques d’avions ornent l’« aéroport du dernier vol pour le salut ». / Hiral Dave/Hindustan Times
Lorsqu’il était enfant, les parents de Somabhai Patel lui expliquaient que l’âme des défunts sortait de la maison pour rejoindre le Paradis par avion. Bien des décennies plus tard, l’homme de 83 ans est sur le point de terminer la construction d’un petit aéroport qui servira de crématorium dans l’Etat du Gujarat, dans l’ouest de l’Inde. Après tout, s’est dit Somabhai Patel, « la mort n’est qu’un départ pour un voyage un peu plus long ».
Au Last Flight to Salvation Airport (« l’aéroport du dernier vol pour le salut »), il y aura un « terminal des départs » où cinq fours crématoires sont alignés, de la « porte 1 » à la « porte 5 ». Les familles des défunts seront priées de se présenter à l’une des « portes d’embarquement ». Pour transporter les âmes des défunts au Ciel, deux répliques d’avions des compagnies Air Paradis et Air Délivrance ont bien été installées, mais Somabhai Patel s’est vite rendu compte que les convertir en four crématoire volant coûterait trop cher. Une astuce a donc été trouvée : au moment de l’incinération, le bruit des fourneaux sera masqué par celui d’un moteur d’avion au décollage, diffusé par de puissants haut-parleurs.
Adoucir la souffrance du deuil
Une fois le corps réduit en cendres, les proches entendront le bruit d’un avion se posant sur la piste d’atterrissage. Les familles n’y verront que du feu, et la mort leur apparaîtra comme un simple aller sans retour. « Je veux soulager la peine des gens en leur donnant l’impression que l’âme du défunt vient seulement de partir en voyage », a affirmé Somabhai Patel aux médias indiens. Pour adoucir encore davantage la souffrance du deuil, un parc a été aménagé avec arbustes et fontaines. Seule différence avec un aéroport classique, les visiteurs ne pourront pas déambuler dans les magasins de duty free mais auront droit, au contraire, à des affiches de prévention contre le tabagisme et la consommation d’alcool. Quel meilleur endroit qu’un crématorium pour encourager les fumeurs à arrêter le tabac ?
Réservé aux hindous, le crématorium est géré par un trust, l’équivalent d’une fondation. Ses services seront gratuits, mais les familles sont censées verser un don au trust. Si l’inauguration officielle de l’aéroport-crématorium doit se dérouler fin octobre, il suscite déjà une immense curiosité. Des chaînes de télévision de tout le pays s’y sont ruées pour le découvrir. L’« aéroport du dernier vol pour le salut » est une petite révolution dans un pays où le spectacle des bûchers funéraires n’est pas des plus réjouissants. La tradition veut que le fils du défunt brise son crâne pour libérer son âme. Le crématorium de Somabhai Patel lui épargnera peut-être ce supplice.