Kirill Serebrennikov, le 4 septembre 2017. / PAVEL GOLOVKIN/AP

Dans le grand foyer du théâtre national de Chaillot à Paris, avec la tour Eiffel en toile de fond, une cinquantaine d’artistes français ont posé devant l’objectif du photographe Olivier Ciappa, dimanche 10 septembre, pour adresser un message de soutien au metteur en scène et réalisateur russe Kirill Serebrennikov et réclamer sa liberté.

« Nous voulons alerter l’opinion publique, donner un outil supplémentaire à la diplomatie et témoigner de notre protestation afin que la liberté d’expression ne soit pas bâillonnée », a insisté David Bobée, directeur du Centre national dramatique de Normandie-Rouen et initiateur, aux côtés d’Olivier Py, directeur du festival d’Avignon et de Didier Deschamps, directeur de Chaillot – deux metteurs en scène et un chorégraphe qui ont accueilli ces dernières années les spectacles de Kirill Serebrennikov en France – de ce comité de soutien réunissant, notamment, Eric Ruf, Jean-Michel Ribes, Nicolas Bouchaud, Isabelle Carré, Béatrice Dalle, Valérie Dréville, Jack Lang, Mélanie Laurent, Philippe Découflé, Macha Makeïeff, André Markowicz, etc.

Un « procès politique »

A quelques semaines du procès de l’artiste russe, assigné à résidence et soupçonné par les autorités de détournement de fonds publics, tous ont voulu, par cette action symbolique, dénoncer le sort réservé à l’une des figures les plus importantes de la scène russe contemporaine. « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage », a résumé David Bobée pour pointer le « procès politique » fait à Kirill Serebrennikov. « Depuis des années, cet artiste est malmené à cause de sa liberté, parce que parfois il utilise la nudité dans ses spectacles, parce qu’il défend les droits LGBT, parce qu’il dénonce l’absurdité d’un régime autoritaire, constate le metteur en scène français. Et plus il est connu, plus sa parole dérange ».

Dans une pétition mise en ligne, le comité de soutien rappelle que « les accusations de malversations contre les artistes sont un procédé classique des dictatures qui veulent museler les arts. Nous pouvions espérer que la Russie contemporaine ne retomberait pas dans les pires travers de son histoire politique ». Alors que le metteur en scène russe est accusé, selon les enquêteurs, d’avoir perçu et détourné une subvention publique de 68 millions de roubles (1 million d’euros), le comité témoigne que « des spectacles ont bien été créés, qu’un programme copieux et exigeant a bien été mis en place dans le cadre du projet Plateform, que des productions internationales ont été menées ».

« Impact négatif sur la création »

Olivier Py, qui a accueilli deux années consécutives Kirill Serebrennikov au festival d’Avignon, veut espérer que cet artiste « à la douceur et à la gentillesse inversement proportionnelle à la subversivité de ses spectacles », puisse retrouver « la liberté de voyager ». Cette mobilisation des artistes français vient s’ajouter à celles des artistes allemands. Le metteur en scène Thomas Ostermeier et son dramaturge, Marius von Mayenburg, ont lancé fin août une pétition qui a déjà reçu plus de dix mille signatures pour demander au pouvoir russe d’« abandonner la procédure pénale, ainsi que toutes les accusations spécieuses et fallacieuses ».

Interrogé sur le sort de l’artiste, lors du sommet des BRICS en début de semaine à Xiamen en Chine, Vladimir Poutine n’a guère laissé d’espoir : « et donc, parce qu’on travaille dans le monde de la culture, on devrait être relâché ?  Serebrennikov a reçu un financement public », a justifié le président russe en réfutant toute « censure ou pression ».

En visite à Moscou, vendredi 8 septembre, le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s’est dit « soucieux » de la situation du metteur en scène. « Cette assignation à résidence nous alarme et nous amène à regretter publiquement son impact négatif sur la création artistique en Russie », a-t-il déclaré.

Kirill Serebrennikov, qui encourt jusqu’à dix ans de prison, n’a pas le droit de sortir de chez lui jusqu’au 19 octobre (une date qui pourra être prolongée) dans l’attente de son procès. Seule concession accordée : la possibilité de faire une petite promenade de 2 heures par jour dans son quartier, mais sans entrer en contact avec l’extérieur.