TV : « Collateral », double concerto pour tueur et taxi
TV : « Collateral », double concerto pour tueur et taxi
Par Jean-François Rauger
Notre choix du soir. Le face-à-face d’un tueur à gages et d’un chauffeur de taxi, archétypes sociaux et cinématographiques, dans un suspens à l’action époustouflante (sur 13e Rue à 20 h 55).
Bande annonce Collateral Bande annonce film Collateral en DVD
Durée : 02:03
Collateral, c’est d’abord le récit d’une rencontre et le portrait d’une ville. La rencontre, c’est celle de Max Durocher (Jamie Foxx), chauffeur de taxi, et de Vincent (Tom Cruise), tueur à gages chargé, en une nuit, d’exécuter cinq personnes. Séduit par la parfaite maîtrise de l’espace de Los Angeles dont fait preuve Max, Vincent l’engage pour toute une nuit. Après la chute malencontreuse de la première victime sur le toit de son taxi, Max se rend compte de la nature du contrat qui l’unit à son client, et qui fait de lui le complice forcé d’une entreprise criminelle : l’élimination des témoins à charge cités lors du procès d’un parrain de la drogue.
La ville, c’est Los Angeles, dont le cinéaste capte la lumière et les atmosphères nocturnes, aidé par l’usage d’une caméra numérique qui donne à l’image une texture particulière et au cadre le sentiment d’une liberté qui accroît l’intensité documentaire ressentie.
De cette union contre nature (le tueur et l’homme ordinaire), on pourrait déjà retenir la dimension psychologique pourtant attendue mais aussi les déterminations sociales. Le récit s’interroge sur l’individualisme contemporain et met en avant une obsession bien américaine du pragmatisme, de la quête de l’indépendance à acquérir par l’action (Vincent) qu’il oppose à l’aliénation nourrie par le rêve et l’inertie (Max économise depuis douze ans de l’argent pour créer sa société de limousines de luxe).
Duel de cinéma
Derrière cet affrontement se dessine aussi la rencontre de deux types de cinéma, dont chaque protagoniste va incarner une forme différente d’archétype vivant. Il s’agit pour chaque personnages d’attirer l’autre dans son propre univers mental. Que se passe-t-il lorsqu’un assassin de polar rencontre le héros d’un drame réaliste ? Qu’arrive-t-il lorsqu’un homme sans qualités est propulsé dans l’univers létal du film noir ? Impossible désormais de concevoir des personnages de cinéma en les soustrayant aux déterminations profondes, à l’antériorité cinématographique qui les définissent. C’était déjà la leçon de Heat et de ses fantômes.
Emaillé d’époustouflantes scènes d’action, le quadrillage de Los Angeles par les deux hommes dessine le mouvement d’une lutte que définira strictement la mise en scène. Celle-ci, dans Collateral, est en effet tout entière guidée par la construction d’espaces abstraits et symboliques, de volumes géométriques soumis à l’épreuve de l’imbrication. Tout le sens de l’action s’identifie à l’écheveau d’une topographie subtilement signifiante qui souligne les différences (sociales, individuelles, mythologiques) et inscrit les individus dans un rôle que les règles de la fiction et le suspense leur enjoignent itérativement de quitter.
Collateral - Bande Annonce
Durée : 01:43
La ville elle-même devient dès lors la projection abstraite de l’univers de référence des personnages. Au cours d’une séquence, alors qu’il est attaché, au fond d’une impasse déserte, au volant de son taxi, Max hurle en direction de la rue, un peu plus loin, remplie de passants, image de la ville moderne, d’une indifférence réaliste. Guidés par les cris du chauffeur de taxi, trois hommes pénètrent dans la ruelle, semblant se porter à son secours, mais le dépouillent de son portefeuille. En changeant ainsi d’espace, les trois passants changent aussi de statut, se transforment en brutes de film policier, en comparses de film noir. Et, en passant du trottoir saturé de monde à la ruelle ténébreuse, le décor relève soudainement d’un registre différent.
Une autre scène de suspense voit une des cibles du tueur coincée dans un bureau, cage de verre dans un étage élevé d’un immeuble moderne, alors que l’assassin est visible plusieurs étages en dessous, en quête de sa future victime. Les personnages semblent être enfermés, évoluent dans des aquariums qu’il leur faut quitter pour s’extraire de la fatalité sociale et cinématographique qui les contraint. Au fur et à mesure que le récit se dirige vers son dénouement, que le suspense s’intensifie, l’action prend la forme poétique d’un passage mythologique, d’une entrée poétique dans un autre monde, de multiples traversées du miroir, rendues perceptibles par la destruction euphorique et forcenée des diverses cloisons de verre qui séparent le bourreau de la victime, l’homme ordinaire du tueur, le film noir du drame réaliste, la fiction de la réalité.
« Collateral », de Michael Mann. / 13E RUE
La fin du film, dans un wagon du métro de Los Angeles, est de toute beauté. Elle scellera la victoire (amère) de celui qui aura fait entrer l’autre dans son imaginaire, qui l’aura enfermé dans une boîte.
Collateral, de Michael Mann. Avec Tom Cruise, Jamie Foxx, Mark Ruffalo (EU, 2004, 120 min).