Tony Blair : « Il faut une nouvelle approche du partenariat avec les pays du Sahel »
Tony Blair : « Il faut une nouvelle approche du partenariat avec les pays du Sahel »
Par Tony Blair
Pour l’ex-premier ministre britannique, les défis auxquels sont confrontés les Etats africains exigent que l’aide occidentale soit conditionnée à « des objectifs précis et quantifiables ».
Les réfugiés qui fuient les conflits ont déjà envoyé une onde de choc aux systèmes politiques d’Europe. Mais si nous ne prenons pas de mesures d’urgence pour aider les pays du Sahel, nous allons faire face à des millions de réfugiés supplémentaires à l’avenir. Ce défi exige un plan coordonné et complet pour accompagner ces nations et les aider à éviter une catastrophe certaine, à la fois pour eux et pour nous. Ce plan devrait être mis en œuvre par une alliance entre l’Europe, les Etats-Unis et les alliés arabes du Golfe.
Le Sahel est une région qui s’étend à travers le sud saharien et se concentre souvent sur le groupe G5 du Sahel – Burkina Faso, Tchad, Mali, Mauritanie et Niger –, qui a récemment lancé une nouvelle force militaire en coordination avec le président Macron.
Ces pays croulent sous le poids d’une multitude de défis propres aux Etats fragiles : pauvreté, insécurité alimentaire, gouvernance faible, tensions ethniques et progression de l’extrémisme radical. Ces problèmes ne sont pas en eux-mêmes exceptionnels, mais deux facteurs exigent une nouvelle approche.
Presque 5 millions de déplacés
D’abord, la croissance massive de la population – de plus de 250 % – produira une augmentation de la population conjointe de ces nations, de 78 millions d’habitants aujourd’hui à plus de 200 millions avant 2050. Ces chiffres ne peuvent pas être compensés par l’aide internationale, comprise dans son sens traditionnel.
Cette croissance de la population multipliera le nombre de jeunes qui ont besoin de travail. Au Mali, la moitié des jeunes sont au chômage. Ces circonstances augmentent les risques du trafic d’êtres humains, de l’esclavage, de la criminalité et de la violence. L’environnement sera aussi soumis à un stress accru, déjà en proie à des sécheresses provoquées par le changement climatique avec pour résultat de mauvaises récoltes, ce qui forcera les gens à migrer à la recherche de nourriture. Presque 5 millions de personnes ont déjà été déplacées dans la région.
Ensuite, les conflits locaux et les mouvements extrémistes risquent de se combiner, à travers les frontières passoires, grâce aux technologies modernes. On peut déjà constater des signes annonciateurs. L’opération de maintien de la paix de l’ONU au Mali est l’une de ses missions les plus meurtrières. Le nombre de morts causés par des groupes djihadistes a été multiplié par douze pendant les quatre dernières années. Et, aux côtés de Boko Haram, les quatre groupes principaux liés à Al-Qaida – Al-Qaida au Maghreb islamique, Al-Mourabitoune, le Front de libération du Macina et Ansar Eddine – ont, en mars, fusionné en une seule entité, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, augmentant ainsi la probabilité de nouvelles violences.
Des gouvernements dépassés
Il faut concevoir un programme spécifique au Sahel : un accord passé de façon formelle entre ces pays et la communauté internationale. L’analyse de mon institut, dont les projets soutiennent les gouvernements de douze pays d’Afrique, montre que le problème dans les Etats fragiles est que l’assistance du donateur est souvent moins efficace parce qu’elle ne bénéficie pas de l’engagement des dirigeants de ces pays, et parce que la capacité institutionnelle d’utiliser cette assistance de façon efficace leur fait défaut. Ces conclusions sont confirmées par le rapport du Brookings Institute qui a analysé l’aide à travers l’Afrique et a comparé les Etats fragiles et ceux qui sont stables.
Le défi est que les problèmes sont si nombreux et si profonds que les gouvernements se trouvent dépassés. C’est pour cette raison qu’il faut que l’accord soit complet, qu’il couvre toutes les dimensions diverses du développement, y compris la sécurité, et qu’il soit fondé sur un partenariat avec des objectifs précis et quantifiables en échange de l’aide proposée. Il n’est pas question ici d’aide au sens traditionnel, mais d’un investissement dans la protection de notre propre avenir.
Une autre caractéristique originale serait que ce projet implique des partenaires du développement non traditionnels dans les nations à l’Est, sur lesquelles l’échec au Sahel aura également un grand impact.
L’accord devrait également être adapté à chaque nation, en fonction des besoins propres à ces pays. Il devra être conçu dans un esprit d’association et de responsabilité mutuelle, en équilibrant les obligations et le soutien, et prendre d’autres initiatives, telles que la Millennium Challenge Corporation, déjà active dans la région.
Des Etats fragiles
Enfin, il faut fournir aux gouvernements non seulement un soutien financier mais aussi une assistance technique sur le terrain. Cela sera crucial pour mettre en œuvre les réformes nécessaires et pour développer les compétences locales. Cela ne se fera pas rapidement : les Etats fragiles ne se reconstruisent pas en quelques années, même avec les meilleures intentions. Mais les besoins sont urgents et, ailleurs sur le continent, des pays comme le Botswana, le Rwanda et l’Ethiopie ont mis en œuvre des réformes qui portent sur le renforcement des compétences de l’Etat et la croissance.
Je suis convaincu qu’une nouvelle voie peut être créée. Une voie où les gouvernements sahéliens profitent du bon type de partenariat qui leur permette de construire un gouvernement efficace qui peut s’attaquer à ses propres défis et, avec le temps, s’émanciper de l’aide. Au niveau le plus fondamental, les peuples de ces nations ont les mêmes désirs que nous en Occident : la paix, la stabilité, la bonne santé, l’éducation et la possibilité d’un travail significatif. C’est la seule vision de l’avenir qui fonctionne, notamment parce que les problèmes dans les pays qui semblent loin peuvent bien être plus proches que nous le pensons.
L’ancien premier ministre britannique Tony Blair a créé Tony Blair Institute for Global Change, société de conseil et d’expertise à but non lucratif dont l’ambition est d’aider à « rendre la globalisation profitable au plus grand nombre ».