Disney traduit en maori un film pour faire oublier des polémiques
Disney traduit en maori un film pour faire oublier des polémiques
Par Violaine Morin
« Vaiana, la légende du bout du monde » ressort en salle en Nouvelle-Zélande, entièrement doublé et sans sous-titres. Une opération de communication qui ne fait pas l’unanimité.
Vaiana, la légende du bout du monde (VF)
Durée : 01:43:18
A sa sortie, fin 2016, le film des studios Disney Vaiana, la légende du bout du monde avait été particulièrement mal reçu dans certaines îles du Pacifique. Les aventures de cette princesse polynésienne étaient construites avec beaucoup d’éléments culturels locaux, souvent mal compris ou simplifiés, ce qui posait la question de « l’appropriation culturelle » opérée à des buts mercantiles par un grand studio américain.
Comme pour montrer sa bonne volonté, et faire oublier la polémique, Disney a monté une opération de communication à grande échelle : une version du film entièrement doublée en Maori, la langue du peuple autochtone de Nouvelle-Zélande, a été faite.
Cette version maorie de Vaiana a été diffusée gratuitement dans une trentaine de salles de cinéma dans tout le pays pendant la semaine pour la promotion de la langue maorie, organisée du 11 au 17 septembre. Avec succès.
Faire vivre la langue maorie
Sur 4,7 millions de Néo-Zélandais, seuls 125 000 parlent la langue maorie. Le projet de diffuser Vaiana en maori ne répondait pas un impératif purement commercial. Il se voulait une façon de faire vivre la langue des autochtones néo-zélandais. Le film était projeté sans sous-titres, et les séances ont néanmoins affiché complet en moins de trente minutes dans toutes les salles.
Dans la ville de Manukau, au sud d’Auckland, des parents ont précisé que c’était la première fois qu’ils allaient voir un film « entièrement en maori » au cinéma et espéraient que le film aiderait leurs enfants à « être fier d’être maori ».
Cette langue, dont le processus de disparition commence avec la christianisation de l’île par les Anglais en 1814, recommence à être parlée par la jeune génération, grâce à l’existence d’écoles « en immersion », nées dans les années 1980 pour valoriser la langue et la culture maories. Des événements, comme la traduction d’un dessin animé très grand public, restent nécessaires pour que la langue soit « cool, sexy, actuelle pour les jeunes », explique au New York Times Haami Piripi, promoteur de la langue maori dans le pays :
« Il n’y a aucun autre film en langue maori qui aurait le pouvoir d’attirer les jeunes comme celui-ci. »
Nombreuses maladresses
Avec Vaiana, Disney marchait – plus que jamais – sur des œufs. Sans parler du fond, il a été critiqué pour des maladresses, comme faire du demi-dieu Maui un personnage trop gros (cliché sur les autochtones des îles) ou vendre un costume de Maui qui, comme le personnage était presque nu et couvert de tatouages, se résume à un vêtement « marron » pour imiter la couleur de sa peau.
Doug Herman, un chercheur américain spécialisé de l’histoire culturelle d’Hawaï et des îles du Pacifique, a résumé l’ensemble des problèmes historiques et culturels du film. Il s’agirait d’une variation poétique autour d’un phénomène historique réel et inexpliqué : après avoir conquis les îles de l’ouest du Pacifique (dont les îles Fidji et Samoa) il y a trois mille cinq cents ans, les Polynésiens ont fait une « pause » de deux mille ans.
La reprise de la conquête de l’est de l’océan pacifique, « la plus grande aventure de l’histoire de l’humanité », est, selon le chercheur, l’événement réel du film : la petite princesse, en effet, est envoyée en mission au-delà du récif de corail, que ses proches ont peur de franchir. Elle apprend à maîtriser la navigation et permettra aux siens de reprendre la mer.
Walt Disney joue au bon élève
Pour tenter de prévenir les accusations de whitewashing (réappropriation par les Occidentaux d’une autre culture, en particulier si elle est issue de zones autrefois colonisées par les Européens), Disney avait déjà pris les devants en affirmant avoir créé un groupe de travail chargé de faire des recherches sur l’histoire culturelle de la Polynésie.
Ce qui n’a pas manqué d’exaspérer les spécialistes, dont le professeur d’études amérindiennes Vincente Diaz, qui écrivait en novembre 2016 :
« Qui a le droit de dire ce qui est authentique et ce qui ne l’est pas dans un spectre culturel aussi large et une région aussi vaste que la Polynésie ? (…) Et qu’est-ce que ça signifie exactement : que c’est maintenant Disney qui décide de la manière dont le reste du monde peut voir et comprendre le Pacifique, y compris des références culturelles relatives au spirituel et au sacré ? »
De plus, le film n’est pas exempt de clichés, au premier rang desquels la vision édénique des îles polynésiennes, pourtant abîmées par la colonisation britannique. Vaiana concentre également des images un peu simplettes, comme l’omniprésence de noix de coco, que l’on ramasse et dont on s’habille – « noix de coco » étant une insulte raciste contre les peuples du Pacifique.
Pour toutes ces raisons, la traduction de Vaiana en maori a aussi été critiquée, vu que sur le fond, rien n’avait changé. Comme l’a regretté la chercheuse spécialiste dans la culture maorie Leonie Pihama : « La traduction des croyances coloniales reproduit les croyances coloniales ! »