Maladie d’Alzheimer : ne pas consulter est « une perte de chances »
Maladie d’Alzheimer : ne pas consulter est « une perte de chances »
Par Sylvie Burnouf
Un patient sur six attend d’avoir développé des troubles cognitifs sévères avant d’en parler au médecin. Une prise en charge en amont est pourtant fondamentale.
Une femme souffrant de la maladie d’Alzheimer dans une maison de retraite d’Angervilliers, en mars 2011. / SEBASTIEN BOZON / AFP
Toute coquette dans son chandail beige et son gilet violet, les cheveux gris soigneusement tirés en arrière sous un diadème rose pâle, Mme Z. scrute anxieusement les faits et gestes de son médecin. Son regard enfantin contraste joliment avec les sillons qui parcourent son visage. « Je vais devoir me faire hospitaliser ? », s’inquiète-t-elle. Mme Z. a 89 ans. Bien qu’elle souffre de troubles de la mémoire depuis deux ans, c’est la première fois qu’elle en parle à un médecin. Elle est venue, accompagnée de sa fille, au service gériatrie de l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP) de Villejuif (Val-de-Marne), qui propose des « consultations mémoire ».
Si Mme Z. a attendu plusieurs années avant de consulter, son cas n’est pas un phénomène isolé. Une étude publiée en septembre par la Fondation Médéric Alzheimer à partir des résultats de la Banque nationale de données Alzheimer (BNA), révèle qu’un patient sur six attend de présenter un déclin cognitif sévère avant de demander une consultation.
Pourquoi un tel délai entre l’apparition des premiers symptômes et la décision d’en parler au médecin ? « C’est une vraie question de société, estime Magali Guichardon, gériatre à l’hôpital Paul-Brousse. Il y a une représentation sociale de la vieillesse et de la dépendance qui fait que l’on préfère ne pas savoir. » « Dans un premier temps, on ne s’inquiète pas, on trouve de bonnes raisons, ajoute Florence Pasquier, neurologue au Centre mémoire de ressources et de recherche (CMRR) de Lille (Hauts-de-France). Souvent, le conjoint protège, minimise les problèmes. Il faut qu’un événement important se produise pour que cela aboutisse à une consultation. » D’autant plus que, dans certains cas, une anosognosie peut apparaître, c’est-à-dire que « le patient n’a pas conscience de ses troubles. Il refuse tout en bloc car il pense que tout va bien », explique la docteure Guichardon.
Le déni est tel qu’il arrive que les troubles cognitifs soient mis au jour de façon fortuite, par exemple lors d’une hospitalisation a priori sans lien. « Nous voyons parfois arriver des patients pour des fractures du col du fémur, et nous découvrons à cette occasion qu’ils présentent un déclin cognitif très sévère, sans qu’aucune exploration médicale préalable ait été faite », déplore Fanny Durig, gériatre au centre hospitalier de Douai (Hauts-de-France).
Consulter dès les premiers signes
Pourtant, consulter dès les premiers symptômes est primordial. « Plus on dépiste tôt, plus on a de chances de casser l’évolution naturelle de la maladie, de la stabiliser », insiste Magali Guichardon.
L’intérêt est double : outre la perspective d’une prise en charge adaptée en cas de démence, le dépistage permet aussi de déterminer l’origine des troubles mnésiques, qui n’ont parfois rien à voir avec la survenue d’une maladie neurodégénérative. « Environ un tiers des patients ne relèvent pas de nos compétences – la consultation mémoire permet les réorienter vers les services adaptés », explique le Pr Pasquier. Une multitude de pathologies peuvent en effet conduire à des problèmes cognitifs, comme une hypothyroïdie, une intoxication à l’alcool, une dépression, une tumeur cérébrale, ou encore une infection au VIH. « Le diagnostic de maladie d’Alzheimer ne se fait qu’après élimination des autres hypothèses », résume la docteure Guichardon.
La Fondation Médéric Alzheimer recense actuellement 559 lieux de diagnostic mémoire en France, répartis sur l’ensemble du territoire. Les patients comme Mme Z. y sont pris en charge selon une approche globale : bilan sanguin, électrocardiogramme, examen clinique, IRM cérébrale et tests neuropsychologiques sont de mise pour la première consultation. Le tout, sur une matinée.
Ces tests sont complétés par une évaluation par un assistant social, qui déterminera notamment si le patient nécessite une aide à domicile.
Une prise en charge multifacette
Au-delà des traitements médicamenteux, qui sont parfois décriés en raison de leur efficacité variable – s’ils améliorent les symptômes de certains patients, ils ne limitent pas la perte neuronale – et des effets secondaires qu’ils peuvent engendrer, « une prise en charge fonctionnelle, sociale et environnementale est primordiale », insiste Magali Guichardon.
Cela regroupe tout un ensemble de mesures qui permettent au patient de garder la meilleure qualité de vie possible : une rééducation orthophonique ou de la musicothérapie pour stimuler son intellect, l’intervention à domicile d’une « équipe spécialisée Alzheimer » pour l’aider à maintenir son autonomie, l’accès à un conseil juridique, la mise à disposition d’une aide ménagère, etc.
« Il y a un vrai effet social de cette prise en charge, souligne la docteure Durig. Cela crée du lien, les patients ne sont plus isolés à la maison. » « On demande aux patients : “Qu’est-ce qui a changé et que vous regrettez ?”, et on essaie de trouver un moyen, même détourné, pour qu’ils puissent le faire à nouveau », relate Florence Pasquier. Parallèlement, un accompagnement est proposé aux proches des patients, sous forme d’une « éducation thérapeutique ». « Il est vraiment important que les aidants comprennent que leur parent ne fait pas exprès d’oublier ou d’avoir un comportement inhabituel, explique Magali Guichardon. Cela leur permet également d’anticiper certaines situations – ce qui est toujours mieux que d’y faire face sans préparation. »
De plus, la prise en charge présente l’intérêt de faire un point sur le bénéfice réel, pour le patient, de ses éventuelles autres prescriptions médicamenteuses, car certains traitements – comme les psychotropes – aggravent les troubles cognitifs.
Faire du suivi, un réflexe
L’accompagnement d’ensemble est d’autant plus bénéfique qu’il dure dans le temps. « C’est une maladie très dynamique, qui demande une prise en charge permanente », dit Magali Guichardon, qui recommande un suivi « tous les six mois à un an, selon l’évolution de la maladie ».
Par ailleurs, les données de la banque nationale Alzheimer soulignent également l’importance du suivi médical dans le cas où le diagnostic n’a pas pu être établi lors de la première consultation. Pour ces patients, dans près de neuf cas sur dix, le diagnostic est alors précisé dans les deux ans.
Ainsi, se faire diagnostiquer dès que possible, c’est améliorer son espérance de vie sans dépendance. « Ne pas consulter, c’est une perte de chances », conclut la gériatre. Madame Z. a saisi sa chance.