Euro 2016 : la Cour des comptes critique la sujétion de l’Etat à l’UEFA
Euro 2016 : la Cour des comptes critique la sujétion de l’Etat à l’UEFA
Par Clément Guillou
L’institution déplore « de nombreuses défaillances » dans « la gestion de la candidature et le mode d’organisation » de la compétition de football et le risque que font peser les nouveaux stades sur les collectivités.
« C’est une victoire pour la France, parce qu’il y a eu une très belle organisation », claironnait François Hollande le 11 juillet 2016, en dépit de la défaite des Bleus en finale de l’Euro 2016 de football face au Portugal (0-1). Quatorze mois plus tard, la Cour des comptes met un bémol au satisfecit de l’ancien président en dénonçant, dans un rapport publié le 29 septembre, la gestion par l’Etat des contours de la compétition.
Les conseillers de la Rue Cambon ne dénoncent pas l’organisation — malgré les violences entre hooligans russes et britanniques qui firent trente-cinq blessés à Marseille —, mais la gestion économique. Et plus particulièrement, la répartition de la charge entre l’organisatrice, l’Union européenne des associations de football (UEFA), et le pays hôte, la France. Un déséquilibre observé avant la tenue de la compétition et confirmé par l’analyse des résultats financiers de l’Euro.
La Cour des comptes écrit :
« Si les soutiens publics n’ont pas fait défaut selon les prescriptions du propriétaire du tournoi sportif, l’UEFA, la gestion de la candidature et le mode d’organisation de la compétition ont été marqués par de nombreuses défaillances. Quant à l’héritage matériel du tournoi (les stades de la compétition, pour un coût d’investissement public de près d’1 milliard d’euros), il n’est pas exempt de risques pour les collectivités locales. »
« Par nature défavorable aux Etats »
L’institution rappelle que la procédure d’attribution de la compétition est « par nature défavorable aux Etats, [qui] ne peuvent infléchir les exigences posées par les entités propriétaires ». Et que, en fait de « contrats » d’organisation, les documents liant le pays à l’organisatrice sont strictement dictés par l’UEFA, sans négociation possible. Là où l’instance européenne restait floue il y a encore une dizaine d’années sur certains points du tournoi, tout est désormais inscrit dans le cahier des charges, passé en quatre ans de soixante-treize à deux cent trois pages.
Pour s’y conformer, la Fédération française de football (FFF) a présenté pas moins de dix-sept lettres de garantie nationales, la plupart du temps de niveau ministériel, et plus de cinquante contrats locaux d’organisation.
Ces engagements, rappelle la Cour, ont été pris sans information préalable du Parlement ni des exécutifs des villes. Parmi ceux-ci, le plus médiatisé fut l’exemption fiscale accordée à la société anonyme organisatrice et à ses salariés.
Prévue en 2009 pour être « une société locale d’organisation » placée sous le contrôle de la FFF et dirigée par ses représentants et des autorités publiques, cette structure s’est transformée en 2011 en société à but lucratif, dont l’UEFA était actionnaire à hauteur de 95 %, les 5 % restants étant généreusement accordés à la FFF. « Ce changement structurel a soustrait les données financières du tournoi à toute investigation publique », observe le rapporteur. L’absence de transparence sur les dépenses totales liées à la compétition en est une des conséquences.
Bénéfice en hausse de 42 % pour l’UEFA
De manière générale, tout a été conçu pour que la puissance publique n’ait pas de droit de regard sur les conditions d’organisation. Les collectivités locales ont particulièrement été laissées dans l’ignorance par l’Etat. « Certaines villes ont recouru à des expertises extérieures préalables sur les documents de l’UEFA, […] le contrôle de légalité des préfectures ayant été inexistant. » La constitution du Club des villes hôtes leur a permis plus tard d’obtenir quelques concessions.
Sur le plan juridique, la Cour des comptes observe que de nombreuses dispositions ont dérogé au droit national, comme l’absence de remboursement des dépenses engagées pour la sécurité de la manifestation, la mise à disposition gratuite des « fan zones » — donc de l’espace public — à l’UEFA ou le recours au droit international privé en cas de litige avec les villes hôtes.
Economiquement, l’Etat ne savait pas vraiment quoi attendre du tournoi : la seule évaluation préalable des coûts d’accueil et des retombées était un rapport commandé par l’UEFA au Centre de droit et d’économie du sport (CDES). Le succès fut colossal, mais la France n’en a récolté que quelques miettes, observent les conseillers de la Rue Cambon.
Anticipé à 650 millions d’euros, le bénéfice net de l’Euro 2016 fut finalement de 847 millions, soit une hausse de 42,7 % par rapport à l’Euro 2012, en Pologne et en Ukraine. Le taux de marge bénéficiaire ferait pâlir d’envie n’importe quelle entreprise : 44,2 %. Le retour direct pour le football français est jugé « modeste » : 20 millions d’euros pour la FFF (qui a préféré une recette garantie à l’intéressement aux résultats initialement prévu), soit 2,4 % du résultat affiché par l’UEFA, et 20 millions d’euros pour des projets liés au football amateur dans les villes hôtes. La FFF, comme les autres fédérations, bénéficiera par la suite de revenus supplémentaires issus de l’Euro 2016 à travers le mécanisme de redistribution de l’UEFA.
Des stades démesurément grands
Pour l’Etat, les recettes de TVA ont été moindres qu’attendu et le surplus de recettes (70 millions d’euros) a été compensé par le montant des exonérations fiscales (65 millions). La dépense directe se limite donc aux coûts de sécurité, de l’ordre de 46 millions d’euros, non remboursés par l’UEFA grâce à une dérogation au code de la sécurité intérieure.
Il faut y ajouter les dépenses d’investissement liées aux stades et aux aménagements extérieurs, évaluées à 1,12 milliard d’euros par la Cour des comptes. A propos des quatre enceintes créées à cette occasion (Bordeaux, Nice, Lille et Lyon, ce dernier stade étant financé par un investisseur privé à l’exception des accès), la Cour des comptes déplore que ce renouvellement des grands stades français n’ait pas été l’occasion de changer le modèle de propriété et d’exploitation publiques des stades. Dans la majorité des cas, les partenariats public-privé ne prémunissent pas les villes propriétaires des risques économiques.
Le rapporteur reproche par ailleurs aux constructeurs d’avoir vu trop grand, à la fois au regard des exigences de l’UEFA (la capacité totale dépassait de 19 % celle exigée par l’UEFA) et des affluences des clubs résidents.
« Les pouvoirs publics ont démontré leur capacité à organiser un événement de l’ampleur de l’Euro 2016, mais sans s’assurer d’un cadre institutionnel qui les associe pleinement et d’une rétribution proportionnée aux efforts et aux recettes . Si des bilans divers ont été faits, l’Etat aurait dû établir un retour d’expérience institutionnel d’ensemble », conclut la Cour des comptes, recommandant que les Etats se mettent en commun pour imposer que l’organisation de manifestations sportives majeures « soit assortie d’objectifs en termes d’intérêt public, de coûts, de participation financière et d’impacts ».
Pas de réponse
Ni la Fédération française de football, ni l’UEFA n’ont répondu à la Cour des comptes.
De son côté, le premier ministre, Edouard Philippe — qui n’était alors pas en poste — ne conteste pas farouchement le constat dressé, se contentant d’insister sur les quelques acquis obtenus vis-à-vis de l’UEFA et sur l’impact économique de l’évènement.
Il affirme que la France « mène une action déterminée et résolue au sein des instances communautaires et internationales » pour rééquilibrer le rapport de force avec les acteurs privés des grandes compétitions sportives, et souligne qu’un groupement d’intérêt public (GIP) a été retenu pour l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, comme lors de la Coupe du monde de football en 1998 et de la Coupe du monde de rugby, en 2007.
Reste que le Comité international olympique (CIO) réclame également des pays hôtes plusieurs dérogations au droit national, notamment par l’intermédiaire de la « loi olympique » : destinée à mettre en conformité le cadre législatif français avec les conditions posées par le CIO, notamment pour réserver l’espace publicitaire autour des sites olympiques à ses sponsors, elle s’applique uniquement pendant la durée de la compétition.