« Sans les femmes, les entreprises africaines se privent de 50 % de cerveaux »
« Sans les femmes, les entreprises africaines se privent de 50 % de cerveaux »
Par Ghalia Kadiri (Casablanca, correspondance)
Elisabeth Medou Badang, première Africaine à la tête d’une multinationale au Cameroun, plaide pour la parité hommes-femmes dans le secteur privé.
Elisabeth Medou Badang est presque gênée qu’on parle d’elle. Surtout lorsqu’on la présente comme la première femme africaine à la tête d’une multinationale au Cameroun. « Ce n’est pas habituel, admet-elle, mais c’est de plus en plus fréquent. » Depuis 2013, la Camerounaise de 53 ans est directrice générale de la filiale locale du groupe français Orange, arrivé un an après la libéralisation de la téléphonie, en 1998.
C’est en toute modestie que la patronne est venue parler de son expérience au premier sommet « Women in Africa », du lundi 25 au mercredi 27 septembre à Marrakech, au Maroc. L’initiative a pour ambition de mettre les talents féminins « au cœur de la construction d’une Afrique inclusive ». Durant trois jours, plus de 300 personnalités du monde entrepreneurial féminin se sont rassemblées pour échanger sur le thème « Investir pour une meilleure gouvernance avec les femmes africaines ».
« Les femmes représentent 50 % de la population et nous avons autant de capacités intellectuelles que les hommes. Pourquoi le monde, et l’Afrique, se priverait de la moitié de ses cerveaux ? », s’interroge Elisabeth Medou Badang, qui milite pour la parité hommes-femmes dans le secteur privé en Afrique. « Des études ont démontré que si on donnait aux femmes autant d’opportunités qu’aux hommes, le monde pourrait accroître ses richesses de plus de 20 % ! »
« Casser les stéréotypes »
Originaire du sud du Cameroun, Elisabeth Medou Badang a grandi dans une fratrie de 21 enfants. « Je dois beaucoup à mon père, confie-t-elle. Pour lui, tous ses enfants étaient égaux, garçons comme filles. Il avait les mêmes attentes pour tous, les mêmes exigences d’excellence. » Influencée par cet environnement familial, Elisabeth Medou Badang croit dur comme fer au rôle de l’éducation dans le combat contre les inégalités. « Je ne me suis jamais dit : “Je n’y arriverai pas parce que je suis une femme”, mais c’est une chance que toutes les femmes n’ont pas eue. C’est là que l’éducation, à commencer par la cellule familiale, est indispensable. En Afrique, les mères de famille ont le pouvoir de casser les stéréotypes. »
Passée par les grandes écoles françaises de management, Elisabeth Medou Badang a commencé sa carrière à Paris avant de se lancer dans l’aventure camerounaise. « Je suis retournée au Cameroun sans vraiment y croire. J’avais un billet retour. Mes proches ne me donnaient même pas trois mois avant de repartir en France », se souvient-elle, amusée. Finalement, elle n’a plus quitté le continent. En 1999, elle rejoint Mobilis, qui devient Orange Cameroun en 2002. A l’époque, le pays ne compte pas plus de 80 000 lignes fixes pour 15 millions d’habitants. « J’ai senti une grande opportunité. J’avais envie d’un challenge. »
De gauche à droite : Annette Young, journaliste de France 24, Hamid Bentahar, vice-président d’AccorHotels Afrique, Elisabeth Medou Badang, directrice générale d’Orange Cameroun, et Bob Collymore, directeur général de Safaricom, lors du sommet « Women in Africa », du 25 au 27 septembre 2017 à Marrakech, au Maroc. / Olivier Rimbon Foeller pour Women in Africa
Un défi de taille pour cette mère de deux enfants, qui doit affronter un marché de plus en plus concurrentiel – avec notamment l’opérateur sud-africain MTN. La directrice n’a d’ailleurs pas hésité à se mettre en scène dans un spot publicitaire où elle vante les vertus de la 3G +, qu’elle a participé à lancer dans le pays, avant la 4G. « La téléphonie au Cameroun a connu un développement fulgurant. Nous avons très vite rattrapé le retard », assure-t-elle. Aujourd’hui, 70 % du territoire est couvert par la 3G.
En ordre de bataille
En janvier, les opérateurs, Orange compris, ont coupé l’accès à Internet pendant plus de trois mois dans les régions anglophones du pays, en conflit avec le pouvoir central. « Ce n’était pas notre décision, mais celle du gouvernement. Les conventions de concession nous ont obligés à nous plier à la loi », affirme la directrice générale, qui n’en dira pas plus sur le sujet.
Au fur et à mesure qu’elle a gravi les échelons, Elisabeth Medou Badang n’a pas échappé aux stéréotypes sur le genre féminin. « On croit toujours qu’une femme occupe un poste à hautes responsabilités parce que son père est actionnaire de l’entreprise ou parce qu’elle est la maîtresse de quelqu’un », s’exaspère-t-elle.
A Marrakech, la cheffe d’entreprise s’est néanmoins montrée positive sur l’avenir du continent. « La jeunesse africaine a une conscience sociale beaucoup plus forte que ma génération. Et les entreprises reconnaissent de plus en plus le potentiel des femmes. » A présent, il faut se mettre en ordre de bataille pour faire éclore ce potentiel, conclut la patronne d’Orange Cameroun.