Emmanuel Macron, le 5 mai, à Ouvéa. / LUDOVIC MARIN / AFP

Le 7 mai 2017, Emmanuel Macron était élu président de la République avec 66,10 % des voix, contre 33,90 % pour la candidate du Front national, Marine Le Pen. Un an après, quel bilan tirer de ce début de mandat ? Quelles sont les réformes les mieux acceptées dans l’opinion ? Les électeurs du président de la République en ont-ils toujours aujourd’hui une bonne image ?

A l’occasion du premier anniversaire de l’élection d’Emmanuel Macron à l’Elysée, le politologue et directeur du département opinion de l’Institut français d’opinion publique (IFOP), Jérôme Fourquet, a répondu aux questions des lecteurs du Monde.fr lors d’un tchat, lundi 7 mai.

Nicolas : 45 % de perception positive : peut-on avoir des comparaisons avec ses prédécesseurs ?

Jérôme Fourquet : Dans notre dernier baromètre IFOP pour Le Journal du dimanche, la cote de popularité de M. Macron s’établit à 44 % de satisfaits un an après son élection. A la même échéance, François Hollande se situait à 25 %, et Nicolas Sarkozy, à 36 %.

Si Emmanuel Macron est donc aujourd’hui minoritaire, il conserve une assise à ce jour nettement plus large que ses prédécesseurs dans l’opinion.

JP : Pensez-vous que le fait que les seules forces d’opposition qui occupent véritablement le terrain médiatique soient des extrêmes (LFI, FN) conforte actuellement le président de la République ?

Incontestablement, la recomposition politique initiée par l’élection d’Emmanuel Macron a modifié en profondeur le paysage. Autour de lui s’est constitué un vaste bloc central transcendant en partie l’ancien clivage gauche-droite. Face à lui, les deux oppositions les plus identifiées sont aujourd’hui La France insoumise (LFI) et le Front national (FN). La gauche et la droite de gouvernement n’ont pas disparu, mais leur espace politique est aujourd’hui réduit et elles ont du mal à réémerger du chaos dans lequel la présidentielle et les législatives les ont plongées.

Emmanuel Macron joue de cette situation (qu’il a contribué à faire advenir) pour dire en substance : « Il n’y a pas d’alternative raisonnable à ma politique. » La puissance des extrêmes sert de repoussoir et d’épouvantail et constitue un atout non négligeable pour le nouveau pouvoir.

Nicolas : Emmanuel Macron, par son action, est-il un rempart à la montée du FN ? Et, selon vous, quel aurait été le score du FN si Emmanuel Macron n’avait pas été candidat ? (Le FN aurait alors été face à Fillon, Hamon, Mélenchon…)

Toutes les enquêtes d’intentions de vote avaient montré qu’il n’existait pas de majorité prête à voter pour Marine Le Pen en France lors de la présidentielle et ce, quel que soit le candidat qui lui aurait été opposé. Avant le débat de l’entre-deux-tours, Marine Le Pen se situait à 40 % d’intentions de vote, sa piètre prestation l’a fait chuter à 34 % au soir du second tour.

Cela dit, le FN demeure durablement enraciné dans la société, même si l’image de Marine Le Pen a été abîmée. Pour faire véritablement refluer l’audience de ce mouvement, il faudra que les conditions, notamment économiques et sécuritaires, qui constituent son carburant dans ses bastions, s’améliorent. Il est encore trop tôt, je pense, pour tirer un bilan de l’action gouvernementale en la matière.

Fitz : J’ai voté pour Fillon et je suis très satisfait de la politique de Macron. En revanche je ne comprends pas comment d’anciens socialistes peuvent le soutenir (autorité, politique d’immigration, politique fiscale) : est-ce par pur opportunisme ?

Vous êtes comme d’autres électeurs de droite adeptes du pragmatisme et de la formule de Deng Xiaoping — « Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, ce qui importe c’est qu’il attrape des souris ! ». Effectivement, nous voyons dans nos enquêtes que toute une partie de l’électorat de droite se satisfait aujourd’hui de la politique d’Emmanuel Macron, à la fois au plan économique (réforme de la SNCF, code du travail…), mais aussi au niveau régalien (évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ou des universités occupées par exemple). Pour les électeurs de gauche, nombreux, qui l’avaient soutenu, la ligne politique actuellement suivie aurait normalement de quoi dérouter ou déranger.

Pour autant, beaucoup continuent de le soutenir, soit de manière un peu résignée (car il n’y a pas à ce jour d’alternative au regard de l’état du Parti socialiste) soit parce que, pour certains d’entre eux, la ligne politique d’Emmanuel Macron président est finalement assez conforme à leurs options politiques. En ce sens, on pourrait dire que son élection a permis un coming out libéral d’une frange de l’électorat anciennement PS.

Va-t-il réussir à aller au bout des réformes ?

La météorologie sociale est toujours difficile, notamment dans un pays comme la France. On constate cependant qu’à cette date, le gouvernement n’a pas été stoppé, tant s’en faut, dans son action. Jean-Luc Mélenchon avait concédé le point à Emmanuel Macron à l’automne, après l’adoption du projet de réforme du code du travail.

On peut penser que le score va encore s’alourdir pour le « mouvement social et syndical », dans les prochaines semaines, car la « bataille du rail » est en train de tourner à l’avantage du gouvernement. Si ce dernier parvient à ses fins, cela aura une portée symbolique très forte : la CGT aura été défaite dans le cœur de son bastion historique, la SNCF.

De gouges : Bonjour, croyez-vous vraiment à une réduction de la dette avec ce président ?

Je ne suis pas économiste, mais on peut constater que la question de la réduction du déficit public ne semble pas être le cœur et la priorité du gouvernement. L’amélioration de la conjoncture économique a permis à la France de passer sous les 3 % de déficit et j’ai le sentiment que la majorité présidentielle souhaite d’abord relancer l’économie française et en faire sauter certains verrous. Dans cette optique, la réduction du déficit et de la dette se produirait « mécaniquement ».

François Fillon avait mis l’accent sur le désendettement, rencontrant en cela une attente forte de l’électorat de droite. On peut penser que si ce sujet n’est pas davantage traité par l’actuelle majorité et que la situation se dégrade (par exemple à l’occasion d’un ralentissement de la croissance ou d’une remontée des taux d’intérêts), l’OPA qu’Emmanuel Macron et Edouard Philippe ont lancée sur l’électorat de la droite modérée pourrait être enrayée. Il faudrait pour cela que Les Républicains l’attaquent plus frontalement et systématiquement qu’aujourd’hui sur ce thème.

On entend de plus en plus le mot « bonapartisme » à propos de Macron. Que faut-il penser de cette « dénonciation » ?

Le style « jupitérien », l’âge du président et le fait qu’il soit surgi sur le devant de la scène sans avoir longuement appartenu à un parti établi, permettent à certains observateurs d’évoquer une filiation bonapartiste. Ce n’est d’ailleurs pas forcément péjoratif ou négatif dans l’esprit d’une partie de nos concitoyens. On peut cependant noter le fait que la « démocratie participative 2.0 » mise en scène par le mouvement En Marche ! durant la campagne semble aujourd’hui remisée au placard…

Si l’on veut absolument nommer et placer le macronisme dans une case, je pense qu’on pourrait éventuellement parler d’un « bonapartisme technocratique ». Emmanuel Macron est convaincu que le pays doit être transformé en profondeur pour garder sa place dans la compétition économique mondiale et que cette action doit être menée avec énergie et détermination, car pour reprendre ses mots, « la France est un pays qui ne se réforme pas ».

Selon lui, il n’y a pas de temps à perdre, et il ne faut pas s’embarrasser de longues discussions et négociations avec les corps intermédiaires qu’il faut bousculer, sans quoi, on n’arrivera à rien. L’agenda des réformes du modèle social français était dans les cartons de Bercy depuis longtemps, mais sans personnalité forte pour la mener à bien. En ce sens, et si on veut rester sur la métaphore napoléonienne, Emmanuel Macron est peut-être, pour l’Inspection des finances, le Bonaparte du pont d’Arcole qu’elle attendait.

Dans une enquête réalisée notamment pour Le Monde ce week-end, on peut observer un fort attentisme des Français. Est-ce déjà arrivé à cette période du mandat ? Surtout, qu’est ce qui peut l’expliquer ?

L’élection d’Emmanuel Macron a provoqué, on l’a dit, une vaste recomposition du paysage politique. Du coup, les réflexes traditionnels sont moins opérants. Habituellement, quand un président de gauche ou de droite était élu, au bout de quelques mois, l’électorat du camp battu basculait rapidement et massivement dans une posture d’opposition, voire d’hostilité. Avec un président revendiquant un positionnement central, ce mouvement de bascule quasi automatique ne fonctionne plus.

A date, Emmanuel Macron conserve le plein soutien de sa base électorale (93 % des sympathisants de La République en marche se disent satisfaits), mais il bénéficie également de la clémence, voire de l’adhésion, d’une part significative des électeurs des oppositions : 45 % des satisfaits parmi les sympathisants LR et 35 % chez ceux du PS. Ces taux sont élevés et inédits. Ils montrent bien que nous sommes en train de basculer dans un nouveau mode de fonctionnement de la vie politique.