Une planche de « Un monde un peu meilleur ». / Lewis Trondheim & L’Association

Il est rare de voir un auteur de bande dessinée donner la mort à son personnage principal. Il est encore plus rare, de fait, de voir celui-ci ressusciter. Lewis Trondheim s’est autorisé cette double audace, à treize ans d’intervalle. En 2004, son héros Lapinot – jeune et pacifique lapin entouré d’une bande de copains – avait tragiquement disparu à la fin de La vie comme elle vient (Dargaud), douzième (et supposément dernier) album de la saga. « Le geste se suffisait à lui-même. Je voulais terminer la série de la sorte. Il était alors clair que je ne ferais plus jamais de Lapinot », se souvient le dessinateur.

C’était compter sans l’envie de raconter une histoire parlant de la société actuelle, avec ses réseaux sociaux et chaînes d’information en continu. C’était également compter sans un noyau dur de lecteurs qui, durant toutes ces années, n’eurent de cesse de lui réclamer le retour du héros aux longues oreilles. Alors Lewis Trondheim a trouvé une astuce : faire évoluer Lapinot dans un univers « parallèle » – et terriblement ressemblant au nôtre.

La transgression du « 48 pages c.c. »

La ruse est explicitée par Lapinot lui-même et son ami Richard dans les toutes premières cases d’Un monde un peu meilleur, le premier tome de la « nouvelle » série. Ce préambule posé, le lecteur est embarqué dans une comédie sociale douce-amère. Là n’est toutefois pas la seule singularité de cet album publié par L’Association. Le choix de son format – communément appelé un « 48 pages cartonné couleurs » – en fait un ovni au regard du catalogue inventif de la maison d’édition.

« Vu que tout le monde a fini par nous copier, on a estimé qu’on pouvait faire de même. » Lewis Trondheim

Fondée en 1990 par un collectif d’auteurs (dont Lewis Trondheim faisait partie), L’Association a dynamité les codes de la bande dessinée en s’opposant, précisément, au standard de l’album cartonné et en couleurs, cher à la BD franco-belge. Tout en s’aventurant hardiment sur le terrain de l’autobiographie et du roman graphique, la structure bouscula les usages du 9art français : des livres de toute taille, aux paginations tout aussi variables, dont certains connurent même un grand succès, à l’image de Persepolis de Marjane Satrapi.

Vingt ans plus tard, l’avant-garde est devenue la norme, comme souvent ; la grande majorité des maisons d’édition spécialisées publient désormais des romans graphiques dans des formats libérés de toute contrainte. Quelle plus belle transgression, du coup, que s’essayer, enfin, au classique « 48 pages c.c. », comme l’appelait Jean-Christophe Menu, l’ancien président de L’Association ? « Vu que tout le monde a fini par nous copier, on a estimé qu’on pouvait faire de même », ajoute Lewis Trondheim amusé. C’est lui-même qui proposa l’idée au comité éditorial, qui l’a validée à l’unanimité de ses huit membres.

Le pied de nez pourrait ne pas en rester là. Trondheim, Grand Prix d’Angoulême 2006, aimerait qu’une collection « 48 pages c.c. » s’installe durablement en librairie et que des auteurs extérieurs à L’Association y contribuent. « L’important, dans un premier temps, est d’amorcer la pompe », indique Lewis Trondheim en précisant qu’il a l’intention de réaliser un second Lapinot nouvelle génération. Il n’a pas, pour l’instant, le moindre début d’une idée de ce qu’il pourrait y raconter, mais cela viendra. Pourquoi pas l’histoire d’un héros qui meurt à nouveau, après avoir ressuscité ?

« Les Nouvelles Aventures de Lapinot. Un monde un peu meilleur », Lewis Trondheim, L’Association, 48 p., 13 €.