Alerte sur le trafic de drogue au CHU de Nantes
Alerte sur le trafic de drogue au CHU de Nantes
Par Yan Gauchard (Nantes, correspondant)
Les soignants dénoncent la vente de stupéfiants à des patients accueillis en psychiatrie. Un trafic qui se fait au grand jour.
« Il faut ouvrir les yeux : la drogue circule à Saint-Jacques depuis très longtemps, mais, aujourd’hui, elle est abondante. C’est terrible et aberrant pour un lieu de soins… » Cet infirmier, qui compte plus de trente ans d’activité, exprime tout haut le malaise qui cavale dans les couloirs de l’hôpital Saint-Jacques, l’un des sept établissements du CHU de Nantes (Loire-Atlantique). S’étendant sur 17 hectares au sud de la ville, le site abrite notamment des services de psychiatrie et de réadaptation fonctionnelle. Ainsi que plusieurs dealers faisant les yeux doux « aux patients vulnérables », comme le constatent les soignants.
La CGT a obtenu la réunion d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) extraordinaire le 27 septembre. La CFDT a relayé le sujet dans la presse, s’alarmant du « gros sentiment d’insécurité régnant au sein de l’hôpital ». « Les patients que l’on accueille en unité fermée souffrent de psychose pour la plupart, indique une professionnelle de santé aguerrie, acceptant de témoigner, comme tous ses collègues, sous le couvert de l’anonymat. Le souci, c’est que la combinaison de leur traitement avec des stupéfiants produit un cocktail aux effets détonants. S’ils fument du cannabis, neuf fois sur dix, ils déclenchent des crises de violence quand ils remontent dans les services. » « Au cours de l’été, une infirmière a été victime d’une tentative de strangulation, rapporte Patrice Le Luel, secrétaire (CGT) du CHSCT. Des menaces de mort sont proférées. Il y a des insultes, des crachats, parfois des coups. Des soignants viennent travailler la boule au ventre. »
« En psychiatrie, la violence peut surgir à tout moment au vu du public que l’on accueille, relève un jeune soignant. On sait gérer des incidents que l’on associe à des pathologies. Mais là, avec les stups, c’est une autre affaire… » Outre le cannabis, l’infirmier soutient que d’autres produits sont en vente sur le site : méthadone, MDMA (principe actif de l’ecstasy) et cocaïne en quantités plus marginales.
Renforcement des patrouilles
Le trafic, constatent-ils, se fait au grand jour. Avec parfois d’anciens patients dans le rôle de trafiquants. « On signale souvent des bagnoles et des gens suspects à l’équipe du poste de sécurité, énonce un infirmier. Mais, au mieux, il s’écoule de longues minutes avant que ça bouge. Si d’aventure les policiers sont appelés, à leur arrivée, tout le monde s’est envolé. »
« Comment mener à bien le sevrage de personnes arrivant parfois à l’hôpital avec des problématiques d’addiction si un trafic s’opère sous nos yeux ?, demande Elise, une infirmière qui se désole de voir des adolescents connaître « un premier usage de la drogue dans un lieu dédié aux soins ». D’autres collègues citent le cas d’un homme admis, il y a près de deux ans, en service de réanimation « après avoir ingéré un cacheton orange, probable dérivé d’amphétamine. Le comble, c’est qu’on est obligé de faire de la prévention en rappelant que les produits vendus en bas sont pourris ».
Embarrassée, la direction du CHU reconnaît dans un communiqué « la présence de drogues » et considère la sécurisation du site de Saint-Jacques comme un enjeu majeur. Si le CHU de Nantes demeure « une structure ouverte sur la ville », la direction entend notifier des « interdictions de séjourner sur le site » lorsqu’une personne présente « un comportement inadapté ».
« Ras-le-bol général »
« A l’instar d’un établissement scolaire, la responsabilité première d’un hôpital incombe au maître des lieux, rappelle Jean-Christophe Bertrand, directeur départemental de la sécurité publique. En cas de suspicion de trafic ou de toute infraction pénale, c’est le chef d’établissement qui doit requérir notre intervention. » Depuis la divulgation de l’affaire, l’hôpital a demandé un renforcement des patrouilles de police sur le secteur.
Le personnel ne cache pas son scepticisme. Derrière le « ras-le-bol général » pointent d’autres maux. « Il n’y a pas assez d’agents pour pouvoir canaliser la violence des patients et il n’y a pas assez d’agents de sécurité, fustige Elise. Les conditions de travail se sont dégradées en psychiatrie. Faute d’effectifs, on fait moins d’activités et de sorties. Si on arrivait à apaiser les souffrances, il y aurait moins de risques que les patients se tournent vers les toxiques. Donc, moins de risques de violences. »
Sollicité, le professeur Antoine Magnan, président de la commission médicale de l’établissement, a préféré s’en tenir au communiqué de la direction.