« Des négociations entre la Catalogne et Madrid sont peu probables »
« Des négociations entre la Catalogne et Madrid sont peu probables »
Sandrine Morel, correspondante du « Monde » à Madrid, revient sur la crise catalane, alors que le président séparatiste menace de déclarer l’indépendance de la région mardi 10 octobre.
Manifestation hostile à l’indépendance, le 8 octobre à Barcelone. / Francisco Seco / AP
La Catalogne vivait lundi des heures d’extrême incertitude alors que son président séparatiste, Carles Puigdemont, menace toujours de déclarer l’indépendance de la région dès mardi, après un week-end où des centaines de milliers d’Espagnols lui ont demandé de faire machine arrière.
Akiva : Va-t-on vers une autoproclamation de la Catalogne demain ?
Sandrine Morel : Il semble que oui, même si tout est encore possible, étant donné les pressions, notamment économique et médiatique, sur le président catalan. Carles Puigdemont semble décidé à procéder à une déclaration d’indépendance, comme il s’y est engagé auprès des gens qui ont voté au “référendum” du 1er octobre et auprès des partis qui forment le bloc indépendantiste. Mais celle-ci pourrait être simplement rhétorique, afin de ménager les sensibilités diverses qui existent dans son parti, en repoussant à plus tard la « loi de transition », qui prévoit la prise de contrôle effective de la Catalogne, afin de laisser une porte ouverte à des négociations avec Madrid. Celles-ci sont cependant peu probables.
Guillaume : Pourquoi tout le monde pense que si la Catalogne devient indépendante, elle devra quitter l’Union européenne ? Qu’est ce qui l’empêche de faire ensuite une demande d’adhésion en tant qu’Etat ?
Sandrine Morel : Rien ne l’empêche de faire une demande d’adhésion, mais celles-ci sont très longues et laborieuses et si la rupture avec l’Espagne est douloureuse, Madrid ne manquera pas de poser son veto. Les indépendantistes catalans minimisent en général ce risque, car ils se disent convaincus qu’une fois indépendante, l’Europe fera tout pour empêcher la Catalogne, région riche et europhile, de quitter les institutions. Sans que rien de tangible ne vienne soutenir ces convictions.
Aes : Quelle est l’ampleur de l’exode économique de la Catalogne ?
Sandrine Morel : C’est encore difficile de le mesurer. La plupart des grandes multinationales catalanes de l’Ibex 35, l’indice boursier espagnol, ont déjà procédé ou annoncé le déménagement de leur siège social : les banques Caixa, Sabadell, la compagnie des eaux Agbar, la compagnie d’énergie Gas Natural. Et peut-être bientôt Abertis et Colonial, qui ont laissé planer cette possibilité. Cependant, beaucoup semblent décidées à maintenir leur siège opératif à Barcelone pour le moment, leur objectif étant avant tout de rassurer les marchés quant à leur stabilité juridique et leur maintien dans un cadre européen. Par ailleurs, il semble qu’il existe un mouvement important de transferts des comptes en banque et livrets d’épargne de la Catalogne vers le reste de l’Espagne, comme en témoignent les journalistes à la frontière avec l’Aragon. Les banques préfèrent ne pas commenter ce point par crainte d’une contagion.
Bruno : Serait-il envisageable de provoquer de nouvelles élections provinciales afin d’avoir une vision claire de l’opinion majoritaire ? Le parlement catalan peut-il être dissous pour provoquer un tel scrutin ?
Sandrine Morel : C’est ce que propose le parti de centre droit Ciudadanos, antinationaliste. Ce parti demande au gouvernement espagnol d’utiliser l’article 155 de la Constitution, qui permet de prendre le contrôle des régions autonomes pour dissoudre le Parlement et convoquer des élections. Néanmoins, l’article en question est très flou et ne parle pas concrètement de la possibilité de dissoudre les institutions, mais permet à Madrid de prendre des mesures pour les obliger au respect de la loi ou de l’intérêt général. La seule personne ayant le pouvoir de convoquer des élections anticipées actuellement est Carles Puigdemont.
Geoffrey : Bonjour, si les Mossos venaient à se ranger du côté des indépendantistes, l’indépendance ne deviendrait-elle pas inéluctable ?
Sandrine Morel : Si cela devait se produire, Madrid tenterait de prendre le contrôle des Mossos immédiatement, et il est difficile de savoir jusqu’où pourrait aller l’escalade. Quoi qu’il en soit, les Mossos sont un corps très divisé. Si on les oblige à choisir entre le respect de la Constitution et de la justice espagnole et celui de la nouvelle « légalité » catalane, les Mossos pourraient se diviser et personne, parmi les syndicalistes que j’ai interrogés, n’ose imaginer les conséquences que cela pourrait avoir.
Sanantonio : Pourquoi ce parti pris quasi généralisé de la presse en langue espagnole contre l’indépendantisme catalan ? Pourquoi les deux grands journaux El Pais et El Mundo n’ont-ils pas condamné les violences policières du 1er octobre ?
Sandrine Morel : L’indépendantisme catalan va à l’encontre de l’unité de l’Espagne, provoque des divisions au sein de la société catalane, ravive le nationalisme espagnol, menace la reprise économique de l’Espagne et pourrait provoquer un désastre économique en Catalogne, mais aussi dans le reste de l’Espagne. Les indépendantistes ne sont pas majoritaires, selon les derniers sondages. Ils ont bravé la Constitution espagnole pour organiser un référendum suspendu par la justice. Leur revendication ouvre la boîte de Pandore des revendications nationalistes d’autres régions, comme le Pays basque. Pour toutes ces raisons, l’indépendantisme catalan est perçu comme une grave menace sur l’Espagne.
Quant à votre question sur la presse espagnole, elle me semble trop catégorique. Des articles ont retranscrit la violence de la journée, avec photos à l’appui et des tribunes (par exemple ici et là) ont critiqué l’utilisation de la force.
Par ailleurs, les images de violence diffusées par les médias ont donné une image disproportionnée de la réalité sur le terrain. La police a agi sur mandat judiciaire et les interventions violentes ne sont produites que là où des manifestants l’ont empêchée de saisir les urnes ou de les emporter.
Laura : Des vidéos montrent certaines personnes faisant le salut hitlérien et semblent montrer que des groupes fascistes ont pris part aux manifestations. Est-ce vraiment le cas ? Et est-on capable de quantifier ce phénomène ?
Sandrine Morel : Dans chaque manifestation en faveur de l’unité de l’Espagne, des groupes d’extrême droite néofranquistes se manifestent, mais ils sont ultra-minoritaires. La journaliste du Monde Isabelle Piquer, qui était sur place, n’a pas vu de groupes fascistes, ni de phalangistes, ni de drapeaux préconstitutionnels. Un service d’ordre de 300 personnes encadrait la manifestation pour empêcher ce genre de débordement.
Sohery : Les indépendantistes ont-ils donné des pistes sur le futur de l’Etat Catalan ?
Sandrine Morel : Les indépendantistes ont laissé entendre que le Barça serait courtisé aussi bien par la Liga espagnole que par le championnat de France et qu’il choisira où il lui conviendra de jouer… Ils entendent conserver l’euro, comme le Montenegro, même s’ils perdent le parapluie de la Banque centrale européenne. Carles Puigdemont a reconnu qu’il souhaiterait que la Catalogne ait une armée. Mais tout cela est très confus car le bloc indépendantiste n’est d’accord que sur l’indépendance. Pour le reste, c’est un groupe hétérogène qui comprend des nationalistes de droite libéraux, des révolutionnaires d’extrême gauche et une gauche républicaine qui se dit social-démocrate.