« France-fantôme », de et mis en scène par Tiphaine Raffier au Théâtre du Nord à Lille. / SIMON GOSSELIN

Il y a du nouveau dans le Nord, et c’est une jeune femme, Tiphaine Raffier. A 31 ans, elle réussit l’exploit de tenir en haleine durant deux heures et demie avec France-fantôme, un spectacle qu’elle a écrit et mis en scène, sur un thème qui n’est quasiment jamais abordé au théâtre, la science-fiction. Nous sommes en France, au XXVe siècle.

Les gens sont devenus immortels, non parce que la durée de vie a été prolongée à l’infini, mais parce que la science permet qu’une fois morts, ils puissent ressusciter dans le corps d’un autre, où leurs souvenirs sont téléchargés. Véronique, une professeure de littérature à l’université, fait ainsi revenir à la vie Sam, son mari, dont la disparition dans un attentat l’a rendue inconsolable. Mais tout ne se passe pas comme prévu : Sam appartient aux 3 % de « rappelés » qui ne trouvent pas leurs marques dans leur nouvelle peau.

Cette trame permet à Tiphaine Raffier de développer une histoire construite comme un scénario, très écrite, avec différents niveaux de langage, et traversée par plusieurs problématiques, dont celles, centrales, de la mémoire, de l’image et de l’art, devenus inutiles dans une France dont la devise est « Lucidité, sécurité, immortalité ». Chacun est prié de confier régulièrement ses souvenirs à une boîte murale afin qu’ils soient stockés numériquement dans l’océan, au large de La Réunion. Chacun peut se regarder dans un miroir, mais personne n’a le droit de peindre, photographier ou filmer un visage. « Si Dieu ni la mort n’existent plus, à quoi bon l’art ? », dit un collègue à Véronique, qui résiste : pour elle, l’art est immortel.

L’influence de Greg Egan

Ce pourrait être un propos simpliste, si Tiphaine Raffier, en nous transportant dans l’ère de la « neuvième révolution scopique », ne nous plongeait dans un aujourd’hui où la technique ouvre un champ toujours plus vaste aux possibles. Plusieurs influences ont guidé son propos, en particulier les écrits de Greg Egan, l’auteur de « hard » science-fiction, ce genre qui s’appuie sur un futur envisageable au regard des connaissances scientifiques, mais pas encore réalisable. Par ailleurs, Tiphaine Raffier a beaucoup pratiqué Michel Houellebecq, dont elle a joué Les Parti­cules élémentaires sous la direction de Julien Gosselin. Comme le metteur en scène, elle appartient à une génération qui se retrouve dans les grands récits nationaux du romancier, et dans ceux d’Aurélien Bellanger.

L’homme augmenté, le transhumanisme, la dictature sécuritaire, le statut de l’image : beaucoup de thèmes sont abordés dans France-fantôme, qui commence dans un décor de tournage, comme s’il s’agissait d’un film, puis s’en affranchit, passant ainsi de la fiction à la réalité.

C’est du théâtre comme il s’en invente aujour­d’hui, un théâtre qui croit en la force du récit

La maîtrise du plateau dont témoigne Tiphaine Raffier est remarquable, compte tenu de son expérience (France-fantôme est son troisième spectacle). Il y a de la liberté, de l’élan, du rythme, des comédiens et musiciens pleinement engagés. C’est du théâtre comme il s’en invente aujour­d’hui, un théâtre qui croit en la force du récit, n’a pas peur d’aborder frontalement les questions, et cherche l’humain derrière le politique, non sans une pointe de romantisme, inquiet sans doute, mais revendiqué comme l’espoir d’un devenir meilleur.

Pour toutes ces raisons, France-fantôme est un spectacle hautement recommandable. Après sa création au Théâtre du Nord, à Lille, il tournera début 2018 dans quelques villes. Il mériterait mieux.

France-fantôme, de et mis en scène par Tiphaine Raffier. Théâtre du Nord, 4, place Charles-de-Gaulle, Lille (Nord). Tél. : 03-20-14-24-24. Du mercredi 4 au dimanche 15 octobre. De 10 à 25 euros.