A Barcelonne, les anti-indépendantistes descendent dans la rue un jour de fête nationale
A Barcelonne, les anti-indépendantistes descendent dans la rue un jour de fête nationale
Par Raphaëlle Rérolle (Barcelonne, envoyée spéciale)
Quelque 65 000 personnes ont défilé jeudi à Barcelone en faveur de l’unité du pays, menacée par la crise catalane.
Ils s’en sont fait des capes, des turbans, des pagnes et même des lunettes : brandi par les adversaires de l’indépendance de la Catalogne, le drapeau espagnol était partout dans le centre de Barcelone, jeudi 12 octobre. A l’occasion de la fête de l’Hispanité, jour férié en Espagne, plusieurs milliers de personnes se sont réunies sur la place de Catalogne pour dire leur attachement à l’unité du pays. Venus de Barcelone et d’ailleurs, ils ont répondu à l’appel d’une vingtaine d’organisations et notamment de Societat civil catalana, principale association pour le maintien de la région dans le giron espagnol.
Le drapeau à trois bandes, aux armoiries de la famille royale, a fait la nique aux couleurs catalanes épinglées un peu partout, aux fenêtres et aux balcons. « Pour une fois ! », grogne Andrès. Accompagné de sa femme, ce Barcelonais se plaint que d’habitude, « quelqu’un qui se promènerait avec ce drapeau se ferait immédiatement traiter de fasciste ». L’insulte réservée par les indépendantistes à ceux qui ne partagent pas leurs convictions, « fachas », est retournée ce jour-là par les manifestants. Dans le pêle-mêle de banderoles en libre-service que les organisateurs proposent à leurs sympathisants, on en trouve qui disent « Non aux référendums et aux coups d’Etats fascistes ».
Incompréhension
Des extrémistes, ces Barcelonais venus en famille ou en couple, parfois en bande pour les plus jeunes ? Il y en a, bien sûr. Carlos, 20 ans, est un membre de la « communion traditionaliste carliste » qui se fait photographier avec un béret rouge sur la tête. Ce monarchiste légitimiste n’est pas seulement pour l’unité du pays, mais pour le rétablissement d’une « Espagne catholique », qui abolirait le droit à l’avortement et au divorce. Autour de lui, pourtant, la grande majorité des manifestants n’est pas venue avec un programme radical, loin de là. Ce qui domine, c’est l’exaspération et l’incompréhension.
Aurelia, par exemple, née en Catalogne il y a cinquante-huit ans de parents venus du Sud. Il faut attendre qu’elle ait fini d’écouter religieusement Mediterraneo, du grand chanteur catalan Joan Manuel Serrat, pour pouvoir lui parler.
« J’ai appris la langue par amour pour la Catalogne, alors qu’elle était interdite à l’école, du temps du franquisme. Chez moi, on était fiers de vivre dans la région la plus développée d’Espagne. Du coup, quand on me traite de “facha”, je suis indignée : c’est le contraire de ce que j’ai toujours défendu. »
Toute sa vie d’adulte, elle a voté alternativement à droite et à gauche, partant du principe que le pouvoir corrompt. Dans un sourire, elle montre une pancarte qui passe : « Les mauvais gouvernements divisent les peuples. »
Pendant qu’à la tribune les orateurs parlent de rétablissement de l’ordre constitutionnel et, pour certains, concluent leur discours par un vibrant « Vive le roi ! », Miriam Pey fustige le nationalisme. C’est un « relent xénophobe et excluant du XIXe siècle », affirme la vice-présidente de Societat civil catalana, en haussant la voix pour couvrir le bruit des hélicoptères qui font du surplace au-dessus de la foule.
« Nous sommes des citoyens libres, nous avons des droits nous aussi. Nous avons été réduits au silence dans les médias et endoctrinés dans les écoles depuis trente ans, il est temps de revenir à l’Etat de droit et au dialogue. »
Histoire dominante
Cette critique de l’enseignement, dominé par la langue et l’histoire catalanes, n’est pas seulement un discours réservé aux organisateurs : elle revient dans toutes les bouches.
Celle de Gloria, la quarantaine, qui a mis sa fille dans le privé pour essayer de contourner la loi selon laquelle les collégiens ne reçoivent pas plus de deux heures d’enseignement en espagnol par semaine. « Pas plus que l’anglais, déplore-t-elle. Vous vous rendez compte ? L’espagnol est traité comme une langue étrangère. » Celle de Juan, un retraité de l’industrie textile qui vit à Rubi, ville de 78 000 habitants à la périphérie de Barcelone : « On habitue les enfants à vivre dans un monde rétréci. » Celle de Javier, enfin, qui est parti de Santander en car à une heure et demie du matin pour participer à la manifestation. Selon lui, « on raconte n’importe quoi dans les écoles catalanes, on trafique l’histoire, on la réinvente pour glorifier le nationalisme catalan. » Et les profs, comment sont-ils ? Lorenzo, José et Pablo, élèves du lycée privé Sainte-Thérèse de Barcelone se consultent du regard : « Dans l’ensemble, ils sont pour l’indépendance. »
Tous manifestent de l’inquiétude, à commencer par la peur d’une fragilisation économique. Comme Juan, ils sont nombreux à avoir mis leurs économies en sécurité, loin de la Catalogne. « Les indépendantistes disent que nous serons la Suisse du sud de l’Europe, observe Pere, un informaticien de 35 ans, mais ça commence mal, si les entreprises s’en vont. » Maria, sa compagne, est uruguayenne et vit à Barcelone depuis dix ans. Elle ne parle pas le catalan, mais ne s’est jamais sentie discriminée pour autant. « Jusqu’ici, dit-elle, c’était plutôt calme. »
Le couple se tient à l’entrée d’une supérette, dans une avenue proche de la place de Catalogne. Soudain, des éclats de voix. Un homme furieux sort en vociférant : « Respectez les couleurs de l’Espagne, vous n’avez pas le droit de nous insulter ! » A l’intérieur du magasin, le gérant secoue la tête d’un air accablé : il a juste demandé au monsieur de faire attention avec son drapeau, qui menaçait de faire tomber les biscuits des étagères.