L’Irak a beau demeurer un pays à haut risque, où l’armée nationale vient d’engager des combats contre des peshmerga kurdes dans la région pétrolifère de Kirkouk, Total souhaite y accélérer son développement. La compagnie française s’intéresse au champ géant de Majnoun, dans le sud du pays, exploité par l’anglo-néerlandais Shell depuis 2010, a annoncé, samedi 14 octobre, le ministère irakien du pétrole. Elle a fait part au ministre du pétrole, Jabbar al-Luaibi, « du désir d’élargir son travail en Irak et de participer à des investissements dans des projets stratégiques dans les domaines pétrolier et gazier », précise un communiqué gouvernemental.

Dans les années 1990, au sortir de la guerre Iran-Irak (1980-1988), Total avait manifesté son intérêt pour le champ de Majnoun, découvert en 1977 et dont les réserves sont estimées à 12 milliards de barils. Ses dirigeants avaient alors négocié avec le régime de Saddam Hussein deux contrats (Majnoun et Ben Omar), qui n’avaient jamais pu être signés en raison des sanctions décrétées par les Nations unies après l’invasion du Koweït par l’Irak en août 1990.

« Je n’avais pas envie de gagner »

Le PDG de Total, Patrick Pouyanné, rompt aussi avec le prudence affichée en 2009 par son prédécesseur, le défunt Christophe de Margerie, qui s’était contenté d’un co-investissement modeste avec PetroChina lors des premières enchères ouvertes par Bagdad pour l’attribution de licences d’exploitation d’or noir. Une prudence qui s’expliquait par des raisons plus financières que géopolitiques.

A l’époque, dans le cadre d’enchères, les sociétés étrangères devaient à la fois proposer les objectifs de hausse de la production les plus ambitieux et accepter les rémunérations les plus basses pour l’emporter. Bagdad avait préféré l’offre plus intéressante de Shell, associé au malaisien Petronas.

Total affirmait alors qu’il n’était pas prêt à payer très cher pour des contrats peu intéressants pour les compagnies étrangères. De toutes les majors occidentales, le groupe français avait été le seul, avec l’américain Chevron, à ne pas décrocher l’exploitation d’un grand gisement. « A 1,39 dollar [de rémunération par baril extrait] sur Majnoun, je n’avais pas envie de gagner, précisait alors M. de Margerie.

« Un investisseur à long terme ne peut pas être payé comme un simple contracteur », avait estimé Christophe de Margerie.

A ce prix, « on ne peut pas bâtir de partenariat à long terme. Un investisseur à long terme, qui prend des engagements vis-à-vis du pays et de la société où il travaille, ne peut pas être payé comme un simple contracteur », ajoutait-il. Total s’était contenté d’être partenaire (à 25 %) de PetroChina sur le champ de Halfaya (4 milliards de barils), dont la production quotidienne doit passer de 200 000 à 400 000 barils fin 2018. Reste que depuis la production quotidienne de l’Irak est passée à 4,5 millions de barils, ce qui en fait le deuxième producteur de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).

Un eldorado pétrolier

En 2009, bien des compagnies avaient pourtant surenchéri sur les objectifs et joué au mieux disant sur les coûts pour décrocher les licences. Ainsi Shell se faisait-il fort de parvenir à une production de 1,8 million baril par jour sur Majnoun. Depuis, les objectifs des gisements ont été revus à la baisse. Et compte tenu des infrastructures existantes, ceux de Majnoun ont été ramenés de 800 000 à un million de barils par jour.

On ignore les conditions octroyées à Total par le gouvernement irakien. Mais le pays reste à bien des égards un eldorado pétrolier. Il détient les troisièmes réserves de brut conventionnel de la planète et les coûts de production y sont beaucoup moins lourds que sur les gisements offshore à grande profondeur (Afrique de l’Ouest, golfe du Mexique) ou dans les pétroles extra-lourds (Venezuela, Canada). Des zones pétrolières où Total, comme ses concurrents, investit avec plus de circonspection depuis que les cours du baril de pétrole ont été divisés par deux (à 50 dollars).

Le groupe français s’intéresse aussi à la région de Nassiriya (sud), selon le gouvernement irakien. En association avec PetroChina et Sinopec, un autre géant chinois, il serait prêt à relancer la production de pétrole pour alimenter une raffinerie financée sur les recettes d’exportation du brut local. Le gaz associé à l’extraction pétrolière pourrait à la fois alimenter une centrale électrique et partir à l’exportation.

L’Irak est incapable de financer une telle installation sur son budget, mais le pays a tout de même besoin de valoriser ses ressources de brut et de renforcer son outil de raffinage. Construites dans les années 1980, les installations de Baïji, au nord de la capitale, ont été détruites en 2015 lors des violents combats entre l’armée irakienne et l’organisation Etat islamique.