Billie Holiday a chanté Strange Fruit pour la première fois à New York en 1939. « Black bodies swinging in the Southern breeze » (« des corps noirs qui se balancent dans la brise du Sud »). Cette année-là, trois Noirs sont lynchés aux Etats-Unis, trois de plus après tant d’autres. La chanson est devenue l’un des hymnes universels des luttes contre le racisme. Dans le contexte actuel, celui de Black Lives Matter (« les vies des Noirs comptent », né en 2012), et de Charlottesville (en août, une manifestation de l’extrême droite dans cette ville de Virginie a dégénéré), il sonne encore un peu plus haut. Barthélémy Toguo lui dédie une installation complexe. Elle est faite de peintures très crues – corps en pièces ou environnés de cordes ressemblant à des serpents –, de branches suspendues au plafond, de corbeaux et d’un molosse de bronze. Il y aussi le buste d’Ida B. Wells, journaliste africaine-américaine qui publia en 1892 Les Horreurs du Sud contre les lynchages et la ségrégation. D’étranges montres monumentales sont accrochées aux murs. Des armes y donnent l’heure, symboles simples et efficaces. Autres symboles : de gros pistolets de bois sont suspendus devant les portraits à l’aquarelle de victimes récentes du même racisme, toujours aussi meurtrier. La saturation de l’espace, qui contraint le visiteur à marcher sous les arbres aux corbeaux, accentue le malaise. Ce qui est le dessein artistique et moral de Toguo : précipiter Strange Fruit de son passé de chef-d’œuvre musical à notre présent.

« Strange Fruit », Galerie Lelong & Cie, 13, rue de Téhéran, Paris 8e. Tél. : 01-45-63-13-19. Du mardi au vendredi de 10 h 30 à 18 h, samedi de 14 h à 18 h 30. Jusqu’au 25 novembre. www.galerie-lelong.com