Dénoncer les « terroristes » peut rapporter gros en Turquie
Dénoncer les « terroristes » peut rapporter gros en Turquie
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante)
Les dénonciations anonymes et rémunérées se multiplient depuis le coup d’Etat manqué de juillet 2016.
Le président turc Erdogan lors d’un Conseil national de sécurité, à Ankara, le 16 octobre 2017. / HANDOUT / REUTERS
Depuis la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016, les cas de délation contre rémunération se multiplient en Turquie. Trois numéros d’urgence (140, 155, 156) ont été mis en place à cet effet. Les dénonciations sont aussi possibles depuis l’étranger, en passant « par les ambassades et les consulats », stipule le site du ministère de l’intérieur créé pour inciter le public à collaborer à la lutte antiterroriste.
« Les récompenses seront versées en liquide », est-il précisé. La protection et l’anonymat des sources sont garantis. Le montant de la prime accordée oscille entre 10 000 livres turques (2 300 euros) et 4 millions (920 000 euros). Tout dépend de la fiabilité des renseignements fournis et du degré de dangerosité du suspect. Les tarifs sont annoncés sur le site.
Les suspects y ont été classés en cinq catégories. Leurs photos, dates et lieux de naissance sont consultables. Les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit) constituent le groupe le plus important. Ensuite viennent les adeptes du prédicateur Fethullah Gülen, le cerveau du coup d’Etat de 2016 selon Ankara. Les djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI), dont les cellules dormantes sont nombreuses en Turquie, de l’aveu des services, forment le troisième groupe.
Dimanche 15 octobre, la police turque s’est félicitée du succès de cette méthode, reconnaissant, dans un communiqué publié sur son site, « la neutralisation de 609 terroristes » : grâce aux « délations faites par nos citoyens, de nombreux attentats ont pu être déjoués ».
La délation rémunérée a été officialisée avant le putsch raté, par un arrêté du ministère de l’intérieur du 31 août 2015. A l’époque, la Turquie venait d’entrer dans une période de turbulences politiques. Présentée comme un moyen efficace de lutter contre le terrorisme, la délation anonyme a pris une place considérable dans la vie quotidienne depuis le coup d’Etat manqué. La plupart des 140 000 fonctionnaires évincés dans la foulée l’ont été sur dénonciation de leurs collègues. Et les dossiers d’inculpation des quelque 50 000 personnes arrêtées depuis la mise en place de l’état d’urgence le 20 juillet 2016 fourmillent de témoignages livrés par des informateurs anonymes.
Les craintes liées à ce système de délation généralisé ont été exacerbées par la mise en service d’une nouvelle application mobile pour taxis. Apparus à Istanbul en juillet, les i-Taksi sont équipés de micros et de caméras, ce que beaucoup perçoivent comme une atteinte à la vie privée.