« Pensée Xi Jinping », mode d’emploi
« Pensée Xi Jinping », mode d’emploi
Par Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
Le programme du chef de l’Etat chinois pour son second mandat fait suite à cinquante ans d’évolutions doctrinales à Pékin. Passage en revue.
L’ex-chef de l’Etat chinois Jiang Zemin consulte la transcription du discours de Xi Jinping au 19e congrès du PCC, à Pékin, le 18 octobre. / JASON LEE / REUTERS
« La pensée de Xi Jinping, du socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère » a rejoint mardi 24 octobre, dans la charte du Parti communiste chinois (PCC), la pensée de Mao Zedong, la théorie de Deng Xiaoping, la « pensée importante des trois représentativités » et le « concept de développement scientifique ». Mais au-delà du jargon propre au PCC, que désignent ces différentes expressions ?
La pensée de Mao Zedong
Elle avait été inscrite dans la charte du PCC en 1945, au 7e congrès. Elle rassemble les idées et maximes de Mao, le fondateur de la République populaire, dont le parti avait décrété en 1981, après la désastreuse Révolution culturelle (1966-1976), que son action était à 70 % positive, avec 30 % d’« erreurs ».
Mao reste crédité d’avoir établi les bases du système socialiste chinois. Sa conception de la lutte des classes et la répartition de la population en catégories politiques ont été abandonnées. En revanche, ses réflexions sur l’exemplarité des membres du parti et de figures modèles, comme le soldat Lei Feng – érigé en modèle de vertu –, sont gardées : elles sont invoquées par Xi Jinping lors de sa campagne anticorruption.
Le « grand timonier » exerce en réalité une influence pernicieuse sur le système politique chinois, vue depuis les années 1990 par les historiens et intellectuels critiques comme un barrage à une approche plus douce vis-à-vis des voix dissonantes : ainsi de la catégorisation des opposants dans le camp des ennemis du peuple, qui autorise tous les abus et les violations, au motif qu’ils incarnent une contradiction antagonique avec le système et non une « contradiction au sein du peuple ». Le Prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, mort en juillet sur son lit d’hôpital, dénonçait la « mentalité d’ennemi » à l’œuvre dans l’idéologie maoïste.
Construction d’une statue de Mao dans la province du Henan, en Chine, en janvier 2016. / © China Stringer Network / Reut / REUTERS
La théorie de Deng Xiaoping
Elle est élevée au rang de « guide pour l’action« lors du 15e congrès, en 1997, au côté des deux corpus théoriques que sont le marxisme-léninisme et la « pensée de Mao Zedong ». Elle marque à son époque une « étape nouvelle dans le développement du marxisme en Chine » et « guide notre marche en avant au cours de l’entreprise de modernisation socialiste de notre pays », lit-on dans les statuts du parti.
L’ère de Deng inaugure l’économie socialiste de marché. C’est l’époque du pragmatisme. Sur le plan politique, elle s’articule autour des « quatre principes fondamentaux » que sont le maintien du socialisme, de la dictature démocratique populaire, de la direction du Parti communiste et du marxisme-léninisme, et de la pensée de Mao. Bref, il est hors de question pour le PCC d’envisager la démocratisation.
Deng promeut toutefois « l’émancipation de la pensée » pour résister aux « gauchistes » nostalgiques de Mao. Mais les dirigeants libéraux qu’il pousse en avant – comme Hu Yaobang puis Zhao Ziyang – seront limogés quand la contestation étudiante, en 1986 puis en 1989, est vue comme une menace pour la suprématie du PCC. Aucun des deux n’aura voix au chapitre dans la charte du parti.
Le public attend le passage du convoi funéraire de Deng Xiaoping, sur la route du cimetière révolutionnaire de Babaoshan, à Pékin, le 24 février 1997. / GON CHAI HIN / AFP
La pensée importante des trois représentativités
Avec la « pensée importante des trois représentativités », inscrite dans les statuts en 2002, Jiang Zemin a ouvert le PCC aux nouveaux acteurs de l’économie : les entrepreneurs privés. L’idée est que le parti représente à la fois les forces productives progressistes, la culture chinoise moderne et les intérêts fondamentaux de la population.
La Chine a rejoint l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001. Des millions d’employés des entreprises d’Etat ont été l’objet de « dégraissage » depuis le milieu des années 1990. C’est l’adoubement des grands patrons, invités à rejoindre la Conférence consultative politique du peuple chinois, la chambre des conseillers du Parlement, mais aussi l’Assemblée nationale du peuple.
Jiang Zemin dans un TGV lors d’une visite officielle en France, le 11 septembre 1994. / PIERRE BOUSSEL / AFP
Le concept de développement scientifique de Hu Jintao
Il a obtenu le statut de « principe directeur » lors du 17e congrès de 2007. Il ne devient un « guide pour l’action » qu’en 2012, lors du 18e congrès, lors duquel Hu Jintao prend sa retraite. Il s’agit de mettre en avant le rôle protecteur de l’Etat face aux effets négatifs du marché sous l’étiquette de la « société harmonieuse ».
La Chine de Hu Jintao et de Wen Jiabao voit la montée des inégalités, la flambée des prix de l’immobilier, la pollution environnementale, mais aussi des prédations par de puissants groupes d’intérêts nés de la collusion entre patrons et cadres corrompus. La répression politique est toujours vivace, mais l’heure est à une plus grande participation politique des citoyens chinois qui s’organisent et utilisent les possibilités infinies d’Internet pour faire entendre leur voix.
Hu Jintao sur un chantier naval de Las Palmas, dans les Canaries, le 24 novembre 2004. / SAMUEL ARANDA / AFP
« La pensée de Xi Jinping »
Xi Jinping fait entrer le socialisme hybride de Deng Xiaoping dans une « nouvelle ère », celle d’une Chine « qui s’est mise debout, est devenue riche et envisage les perspectives brillantes de la renaissance ». Cette ère est prévue pour durer trente ans, jusqu’à 2049. Elle doit parachever la modernisation de la Chine pour en faire un « pays socialiste moderne, prospère et puissant », mais sous l’égide d’un Parti communiste décrit comme « la colonne vertébrale de la nation », et appelé à « rester éternellement le noyau dirigeant de la Chine ».
La première des obligations des cadres sera ainsi de « s’assurer du rôle dirigeant du parti dans tous les domaines et tous les recoins du pays ». Sauvegarder la « sécurité politique », c’est-à-dire le maintien du système du parti unique, est décrit comme une tâche fondamentale, tout comme le commandement absolu des forces armées par le parti, ou la lutte contre « toutes les déclarations et les actions qui visent à mettre en question, déformer, ou nier le système socialiste chinois ou la direction du parti ».