Adam Osmaïev et Amina Okouïev. / Uacrisis.org

Amina Okouïeva, 34 ans, militante de la cause tchétchène devenue célèbre en Ukraine pour sa participation à la guerre dans le Donbass, a été tuée dans les environs de Kiev, lundi 30 octobre, dans le mitraillage de sa voiture. Son mari, Adam Osmaïev, 36 ans, ancien commandant d’un bataillon de volontaires tchétchènes engagés dans ce conflit contre les forces séparatistes soutenues par la Russie, a été blessé.

Cet été, quelques semaines après une première tentative d’assassinat les visant, Le Monde avait raconté l’histoire de ces deux Tchétchènes devenus des héros en Ukraine. Le quotidien français y jouait un rôle particulier, puisque le meurtrier, lui aussi tchétchène, avait gagné la confiance de ses cibles en se faisant passer pour l’un de ses journalistes.

Peu de détails sur l’attaque sont pour l’heure disponibles. Anton Gueraschenko, député et conseiller du ministre de l’intérieur, qui avait pris le couple sous son aile, a seulement fait savoir sur sa page Facebook que les faits s’étaient produits en début de soirée dans le village de Glevakha, non loin de la capitale ukrainienne. La voiture des deux Tchétchènes aurait été mitraillée par des tirs venant de buissons alors qu’elle stationnait à un passage à niveau. Selon M. Gueraschenko, les jours d’Adam Osmaïev ne sont pas en danger.

Une attaque en juin

Il y a cinq mois, le 1er juin, Adam Osmaïev avait déjà été blessé dans sa voiture par un certain Artur Kourmakaïev, qui lui avait tiré deux balles dans le corps avant d’être lui-même touché à quatre reprises par l’arme d’Amina Okouïeva. Le tireur avait pris contact avec le couple une semaine plus tôt, se présentant comme « Alex Werner », journaliste au Monde, et fournissant un luxe de détails pour rendre sa couverture crédible. Il avait attendu ce quatrième rendez-vous pour tenter d’abattre Adam Osmaïev puis Amina Okouïeva. Blessé, l’homme est toujours en détention.

Il est, depuis, apparu qu’Artur Kourmakaïev, un ancien bandit tchétchène, avait des liens avec le président tchétchène, Ramzan Kadyrov, pour le compte duquel il aurait, selon ses propres dires à l’époque, participé en 2009 aux préparatifs du meurtre d’un Tchétchène réfugié à Vienne. Selon les autorités ukrainiennes, le tireur s’était rendu huit fois au cours de l’année 2016 en Russie, ce qui prouverait son lien avec les services secrets russes, démenti par ceux-ci.

Nul doute qu’après le meurtre d’Amina Okouïeva, les accusations contre Moscou et Grozny vont rapidement refaire surface à Kiev. Ces accusations tiennent aussi à la personnalité des victimes.

Soutien de la rébellion durant la deuxième guerre d’indépendance tchétchène, Adam Osmaïev avait trouvé ­refuge à Odessa en 2008, après un passage par le Royaume-Uni. C’est là qu’il avait rencontré puis épousé Amina Okouïeva, née en Ukraine d’un père tchétchène. En 2012, il fut accusé par la Russie d’avoir ourdi un assassinat de Vladimir Poutine.

Anciens membres de bataillons tchétchènes

Après le début de l’agression russe dans le Donbass, le couple rejoint l’un des bataillons de volontaires qui se forment pour pallier la désorganisation de l’armée ukrainienne. Ce sera le bataillon Djokhar Doudaïev, du nom du premier président de la République tchétchène indépendante, de 1991 à 1996. Cette unité, forte de quelque deux cents hommes, ­regroupe quelques Ukrainiens, mais surtout des Tchétchènes qui continuent là leur lutte contre « l’impérialisme » russe, tout en affrontant directement des combattants tchétchènes envoyés dans la région par ­Ramzan Kadyrov. Adam Osmaïev en devient le commandant en février 2015. Amina Okouïeva, infirmière de formation, participe également à des missions de combat, selon des récits qu’elle fit à des journalistes.

Au cours de cette année 2015, le bataillon est progressivement mis en sommeil, à mesure que les unités de volontaires sont dissoutes au sein de l’armée. Mais le profil des deux jeunes gens, qui ont acquis la stature d’icônes et courent les médias ukrainiens, a tout pour déplaire aux pouvoirs russe et tchétchène. Ce d’autant plus qu’à la différence de l’autre bataillon tchétchène engagé sur le front du Donbass, le bataillon Cheikh Mansour, composé de combattants islamistes, le bataillon Djokhar Doudaïev était resté fidèle à l’esprit de la première guerre d’indépendance de 1994-1996, celle pour une Tchétchénie laïque. Loin, donc, des caricatures de djihadistes forcenés auxquelles Grozny réduit ses opposants. Dans un discours en 2015, Ramzan Kadyrov avait nommément cité Adam Osmaïev et Amina Okouïeva, « financés par les Américains, et qui ont rejoint les fascistes ukrainiens ».

L’attaque de lundi vient aussi rappeler le climat de tension et d’insécurité qui règne en Ukraine, où les assassinats se sont multipliés ces derniers mois, le plus souvent attribués par les autorités à la Russie. Le 25 octobre, Ihor Mosiïtchouk, un député d’extrême droite, a été blessé dans l’explosion de sa voiture à Kiev. Depuis l’été 2016, des attaques à la voiture piégée ont aussi visé un journaliste, un combattant tchétchène et deux agents des services de sécurité ukrainiens. En mars, Denis Voronenkov, un ancien député russe réfugié à Kiev, a été tué par balle dans le centre de la capitale ukrainienne.