La sélection cinéma du « Monde »
La sélection cinéma du « Monde »
Chaque mercredi, dans « La Matinale du Monde », les critiques du « Monde » présentent les meilleurs films à découvrir sur grand écran.
LES CHOIX DE LA MATINALE
Deux sorties, une rétrospective et deux festivals au menu de notre liste cinéphilique du mercredi.
UNE HIRONDELLE POUR LE PRINTEMPS DU CINÉMA ARABE : « En attendant les hirondelles », de Karim Moussaoui
EN ATTENDANT LES HIRONDELLES Bande Annonce (2017)
Durée : 01:51
Quelque chose bouge donc dans le cinéma algérien ? C’est Tariq Teguia (Rome plutôt que vous, 2006 ; Inland, 2008 ; Revolution Zendj, 2013), sans doute le plus grand cinéaste qu’ait jamais compté l’Algérie, qui a d’abord libéré les consciences, les gestes, l’horizon. Qui a prouvé, dans un paysage cinématographique effacé, dans une société traumatisée par la guerre civile et assujettie à la férule d’un pouvoir autoritaire, qu’il était possible d’y filmer de nouveau à cette hauteur, d’y rêver si radicalement, si poétiquement, d’un autre monde.
Et à voir le nouveau film de Karim Moussaoui – après son magnifique moyen-métrage Les Jours d’avant (2015), après l’envoûtant documentaire Dans ma tête un rond-point, d’Hassen Ferhani (2016) –, le doute n’est plus permis.
Moussaoui, qui fut assistant à la réalisation sur Inland, signe dans En attendant les hirondelles un film semblablement marcheur et aéré, sensuel et elliptique, languissant et rageur. Un film en mal de printemps, qui n’en aurait pas fini avec la longue nuit de l’hiver. Trois segments s’y transmettent le relais faussement hasardeux de la narration, en un marabout de ficelle qui constitue une sorte d’échographie tremblée de la société algérienne. Jacques Mandelbaum
« En attendant les hirondelles », film franco-algérien de Karim Moussaoui. Avec Mohamed Djouhri, Sonia Mekkiou, Mehdi Ramdani, Hania Amar, Hassan Kachach, Nadia Kaci, Aure Atika (1 h 53).
SANS TOIT NI LOI : « Prendre le large », de Gaël Morel
PRENDRE LE LARGE Bande Annonce ✩ Sandrine Bonnaire (Film Français - 2017)
Durée : 01:53
Il y a d’abord le plaisir des retrouvailles, avec un regard. Celui de Sandrine Bonnaire, qu’on n’avait plus vu depuis le siècle dernier, au temps où elle tournait avec Pialat, Varda, Chabrol, Rivette… Cette fulgurance sombre qui laisse entrevoir des abîmes illumine Prendre le large, en réduit en cendres les imperfections pour laisser la sensation d’un moment d’une intensité comme le cinéma français en suscite rarement.
Edith Clerval, l’ouvrière qu’elle incarne ici, qui apprend que l’usine dans laquelle elle travaille depuis des années va fermer, est animée par un démon familier qu’elle serait bien en peine de nommer. Au mépris de toute rationalité économique, la voilà qui accepte la proposition de reclassement que lui fait son employeur : elle partira au Maroc, à Tanger, dans l’usine où les tâches de confection qu’elle a accomplies si longtemps ont été délocalisées.
Comme une furie butée, Edith affronte la répréhension des syndicalistes dont elle fut jadis proche. Sandrine Bonnaire préserve, cultive et fait s’épanouir la part de déraison qui guide la conduite d’Edith, pendant que la mise en scène en détaille les raisons. Arrivée au Maroc, Edith charge les positions adverses : la pension branchée dans laquelle elle loge, tenue par Mina (Mouna Fettou), une femme divorcée qui vit en osmose avec son fils (Kamal El Amri), l’usine vétuste qui lui fait faire un bond en arrière de plusieurs décennies, qu’elle contemple l’état des machines ou celui des relations sociales. Gaël Morel met en scène l’écheveau des peurs et des solidarités au sein de l’usine, pendant que Sandrine Bonnaire infléchit légèrement la rage de son personnage, qui croit trouver dans l’injustice et les lâchetés qui servent de règlement intérieur un objet digne d’elle. Thomas Sotinel
« Prendre le large », film de de Gaël Morel, Avec Sandrine Bonnaire, Mouna Fettou, Kamal El Amri, Ilian Bergala, Farida Ouchani, Nisrine Radi, Lubna Azabal (1 h 43).
VALSE ET POLKA SUR UN VOLCAN : Ernst Lubitsch à Berlin, à la Fondation Seydoux-Pathé
Henny Porten et Emil Jannings dans « Anna Boleyn », d’Ernst Lubitsch. / DR
Ernst Lubitsch, Berlinois d’origine russe, fut l’un des premiers cinéastes européens happés par Hollywood, où il s’installa définitivement en 1922. Auparavant, en cinq ans, dans la ville où il avait commencé une carrière dans la confection avant de s’orienter vers le théâtre puis le cinéma, il était devenu l’un des inventeurs du cinéma moderne.
Les moyens et longs métrages projetés – avec accompagnement musical – à la Fondation Seydoux-Pathé, du 8 au 25 novembre, vont de la farce ethnique (Lubitsch a commencé par se mettre en scène sous les traits de Sally, employé de commerce juif berlinois) à l’épopée amoureuse (somptueuses productions d’Anna Boleyn et Madame du Barry).
Je confesserai une faiblesse pour les marivaudages transgressifs comme Je ne voudrais pas être un homme ou La Joyeuse Prison. Dans le premier, un précepteur embrasse sur la bouche sa pupille, qui s’est travestie en garçon. Dans le second, c’est un gardien, incarné par un Emil Jannings, qui roule une pelle au directeur de l’établissement. On peine à imaginer que ces moments de pure joie hédoniste aient été produits dans une ville en proie à la guerre, à la révolution, et à l’hyperinflation. T. S.
Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, 73, avenue des Gobelins, Paris 13e, du 8 au 25 novembre.
UN CONTINENT À LA MONTAGNE : 15e Festival des cinémas d’Afrique du pays d’Apt
I Am Not A Witch Trailer | Film4
Durée : 02:04
Au Festival des cinémas d’Afrique du pays d’Apt, on verra les films africains qui ont marqué l’année écoulée – comme Félicité, d’Alain Gomis – et ceux qu’on attend avec impatience : I Am not A Witch, de la Britannico-Zambienne Rungano Nyoni, remarqué à Cannes.
Il y aura des documentaires, dont Maman Colonelle, le beau film que Dieudo Hamadi a consacré à la figure d’une policière congolaise qui se voue à la protection des enfants, et des fictions inédites. Kati Kati, réalisé par Mibthi Masya, vient du Kenya et témoigne comme plusieurs autres choix des sélectionneurs de la vitalité du cinéma en Afrique de l’Est.
Pour cette 15e édition, le festival qui embrasse le continent de Bizerte au Cap ne pouvait ignorer l’extraordinaire floraison du cinéma algérien, qui sera représenté, bien sûr, par En attendant les hirondelles, de Karim Moussaoui, mais aussi par de nombreux documentaires et fictions inédits. T. S.
Cinémas d’Apt et de la région, du 10 au 17 novembre. Africapt-festival.fr
FILMS JUNKIES : Addiction à l’œuvre, 3e édition
LE PORTRAIT INTERDIT Bande Annonce VF (2017)
Durée : 02:03
Pour la troisième année consécutive, le programmateur Philippe Bérard, en partenariat avec l’association Clémence Isaure-Toulouse et la fédération Addiction, se propose d’interroger cette maladie qu’on appelle cinéphilie en se penchant sur les mille manières qu’a eues le cinéma de traiter la question de l’addiction.
Toujours très alléchante, éclatée dans de nombreuses salles entre Paris, Marseille, Monaco et Porto-Vecchio (Corse-du-Sud), la programmation réunit des œuvres rares, des classiques, des nouveautés. En ouverture du cycle, on pourra découvrir Le Portrait chinois, nouveau film de Charles de Meaux qui scelle ses retrouvailles, en Chine, avec son vieux complice Melville Poupaud. Egalement au programme : Le Poison, de Billy Wilder, Mensonge amoureux, de Michelangelo Antonioni, Les Ombres blanches, de W. S. Van Dyke et Robert J. Flaherty, Le Cheik Blanc, de Federico Fellini, ou encore L’Oiseau au plumage de cristal, le premier film de Dario Argento. Isabelle Regnier