Capture d’écran du sit Firerank. / Firerank

Jusqu’à peu, Charles Marginier chérissait Facebook. Il avait réussi à bâtir sur le réseau social une communauté de 12 millions d’abonnés autour des différentes pages de Firerank. Au programme des vidéos à fort potentiel viral (« l’histoire la plus culte de la semaine », « Qui est chaud pour un foot-rugby ? », « Cette chienne est devenue une héroïne »), plutôt destinées à un public de « millenials », mais aussi des contenus de marque produits par l’entreprise clermontoise.

La PME avait le vent en poupe : avec 1,7 milliard de vidéos vues sur l’année 2017, une équipe d’une trentaine de collaborateurs (monteurs vidéos, développeurs, commerciaux) fraîchement déménagée dans de nouveaux locaux et des comptes a minima à l’équilibrer (l’entreprise refuse de communiquer sur ses résultats). Depuis le début de l’année elle avait décidé de miser uniquement sur Facebook pour distribuer ses contenus.

Mais début novembre, Facebook a décidé de fermer l’intégralité des pages de Firerank pour non-respect des conditions d’utilisation. Les comptes personnels de M. Marginier ont également été clos. Toute l’équipe se retrouve au chômage technique. Firerank n’est pas le seul à être touché. Plus d’une centaine de pages en France et en Europe ont subi le même sort, toutes accusées d’avoir employé des moyens déloyaux pour faire gonfler leurs audiences.

Piratage d’audience

Le 10 novembre, M. Marginier prend l’initiative de publier un long post sur son compte LinkedIn dans lequel il décrit comment, dans les premières années de Facebook, il était particulièrement facile pour les éditeurs des pages Facebook de faire croître leurs statistiques : « Créer une page en utilisant un nom stupide tel que “Mieux vaut être saoul que con, ça dure moins longtemps”, [permettait d’] acquérir un million de fans en 24 heures juste par la viralité. »

Il rappelle aussi comment les méthodes du growth hacking, autrement dit le piratage d’audience (renommer des pages précédemment créées sous un nom plus respectable, fusionner d’anciennes pages avec de nouvelles, voire en racheter d’autres) ont été en vogue pour attirer davantage d’annonceurs. Certaines sont d’ailleurs admises par Facebook. « C’est le passé commun des grandes pages Facebook françaises, ceux qui ne participaient pas à cette course aux likes étaient hors jeu », explique M. Marginier sur LinkedIn.

Mais la roublardise va parfois plus loin. Un exemple : le like jacking, qui consiste à dissimuler sur des sites Web des boutons invisibles, sur lesquels les internautes cliquent sans savoir qu’ils ont « liké » à leur insu une page Facebook. Une technique là encore très répandue mais que Facebook proscrit.

Un avertissement

Revenant sur les sanctions qui frappent Firerank, M. Marginier explique que Facebook a puni les personnes « qui ont fait un jour ou l’autre du like jacking », et reconnaît que « oui, Firerank a pu par le passé jouer avec les règles d’acquisitions de fans Facebook ». Il soupçonne, en outre, le groupe américain de cibler en priorité « ceux qui ne dépensent pas d’argent chez Facebook » pour faire croître leur audience par le biais des liens sponsorisés.

Revirement le lundi 13 novembre : l’article de M. Marginier sur LinkedIn a été supprimé. Contacté le patron de Firerank estime que ses propos ont été largement « extrapolés » et « mal interprétés » et qu’à aucun moment sa société ne s’est livrée à des pratiques contraires au règlement de Facebook. Un changement de ton qui intervient au moment où la société explique avoir noué contact avec le réseau social pour régler son litige.

Contacté par Le Monde, Facebook contredit ces allégations : « Nous avons récemment désactivé un certain nombre de pages Facebook car elles ont de manières répétées utilisé des techniques conduisant les utilisateurs, involontairement, à liker des pages. Ce comportement va à l’encontre de nos politiques, et nous avons pris les mesures pour protéger l’intégrité de notre plate-forme. »

Le coup de semonce de Facebook sonne comme un avertissement pour tous les médias qui tentent aujourd’hui d’exister uniquement, comme Firerank, sur le réseau social – et même pour tous ceux qui y trouvent simplement fort un relais d’audience. Une dépendance risquée : il ne s’agit pas seulement de respecter scrupuleusement les règles fixées par le groupe américain, mais aussi d’accepter les changements de politique. Tout récemment, Facebook a testé dans six pays une nouvelle présentation de son interface proposant de distinguer dans un flux principal les publications privées et dans un flux secondaire toutes les autres publications (pages, médias…). Conséquence : plusieurs médias ont vu leur audience amputée des deux tiers.