Darwin Ecosystème, un pôle d'activité économique créative qui mêle le business, la culture, l'écologie dans le cadre d'un site patrimonial : la caserne Niel, rive droite de Bordeaux (ici, en novembre 2015). / FREDERIC DESMESURE/Pour Le Monde

Les start-up vont-elles en finir avec le vieux concept de Paris et le désert français, du nom du célèbre ouvrage du géographe Jean-François Gravier publié en 1947 ?On en est encore loin mais, plus que les politiques territoriales ou les grands projets, l’effervescence autour des start-up et du numérique semble en passe de redynamiser le tissu économique régional.

Si Paris semble à première vue concentrer l’essentiel de l’écosystème digital (entrepreneurs, incubateurs, accélérateurs, et autres) ce constat ne résiste pas aux chiffres : sur les 9  500 start-up françaises recensées aujourd’hui dans la French Tech, deux sur trois sont installées en région, principalement dans les 13 métropoles ­labellisées*.

« Une start-up, d’où qu’elle vienne, doit faire partie de la French Tech. »

« Lorsque la French Tech a été créée en 2013, le risque était que Paris devienne une grande centrifugeuse, se souvient Stanislas Hintzy, directeur général de la French Tech Rennes-Saint-Malo. Quatre ans plus tard, le pari est sacrément gagné. » Difficile de faire la fine bouche, effectivement, quand un entrepreneur américain, Rob Spiro, qui a vendu une start-up à Google pour 50 millions de dollars (42 millions d’euros), vante les mérites de l’écosystème nantais où il a ouvert un incubateur : « Pour les start-up technologiques, je pense que Nantes est idéale », a-t-il posté sur LinkedIn. David Monteau, ­directeur de la mission French Tech, pilotée par Bercy, renchérit : « Pour nous, l’objectif était bien de se dire : on veut emmener tout le monde. Une start-up, d’où qu’elle vienne, doit faire partie de la French Tech. » D’où l’idée de créer des métropoles labellisées, pour créer des écosystèmes ­locaux favorisant l’émergence et la croissance des entreprises.

Sur le terrain, l’effervescence

A Grenoble, Toulouse ou Nantes, l’effervescence se confirme sur le terrain. L’exemple de Lyon est, à cet égard, intéressant. Aderly, l’agence pour le développement économique de la région, note que le nombre d’implantations d’entreprises dans l’écosystème n’a jamais été aussi important. Tout récemment, Michelin, ­histo­ri­quement implanté à Clermont-Ferrand, a annoncé la création d’un centre d’expertise digitale dans le quartier de la Part-Dieu. En février 2015, l’arrivée d’Evernote, l’une des licornes de la Silicon Valley, a confirmé l’attractivité de la ville.

Evernote, OVH, Ubisoft, Huawei ou Uber, autant d’entreprises qui ont rejoint Lyon

D’autres entreprises ont rejoint Lyon : OVH, Ubisoft, Huawei ou Uber. De leur côté, la moitié des start-up lyonnaises ont une place à l’international, selon ­Patrick Bertrand, président de Lyon French Tech. L’Ecole 101, ­petite sœur de l’emblématique Ecole 42, a ouvert ses portes en septembre 2017 dans le quartier de Confluence. « Tout cela permet de démontrer qu’il n’y a pas de handicap à être une métropole ­régionale, souligne Patrick ­Bertrand. Il y aurait même quelques précieux atouts appréciés des start-upeurs et de leurs partenaires : des locaux en abondance, bien moins chers qu’à ­Paris, des temps de transport réduits – « Ici, à Rennes, tout est à 15 minutes maximum », souligne Stanislas Hintzy –, des pôles ­universitaires de haut niveau, d’excellentes écoles d’ingénieurs un peu partout et, enfin, la fameuse « qualité de vie » souvent célébrée en région.

Un autre facteur différenciant apparaît depuis peu : les dévelop­peurs, professionnels en voie de starification, par ailleurs cruciaux dans le développement des start-up, sont plus faciles à recruter et coûtent moins cher en ­région qu’à Paris, où les rémunérations atteignent parfois des niveaux dignes de ceux de la Silicon Valley. « Et on souffre moins de l’absence de loyauté ici », ­confie Patrick Bertrand. Comprenez, le développeur lâchera moins facilement son employeur pour rejoindre la concurrence, mieux-disante bien sûr !

Les financements à Paris

Des grands noms qui s’installent, des jeunes entrepreneurs qui lancent des projets par dizaines… que manque-t-il donc encore aux métropoles pour définitivement rivaliser avec Paris ? A quand une Silicon Valley française, loin de la capitale, sur les rives de la Garonne ou de la Loire ? « On voit effectivement la dynamique territoriale, tempère ­David Monteau. Mais les start-up qui décollent et qui lèvent des fonds sont encore à Paris. »

Si Paris ne concentre que 35 % des jeunes pousses, ces dernières attirent 65 % des investissements…

Deux chiffres résument le problème : si Paris ne concentre que 35 % des jeunes pousses, ces dernières attirent 65 % des investissements… Un ratio exactement inverse de celui de la répartition des start-up entre Paris et métropoles. Selon le baromètre EY du capital-risque, la région ­Ile-de-France a concentré 76 % des investissements en valeur sur le 1er semestre 2016, soit 926 millions d’euros… et la deuxième région, l’Occitanie, n’en a réuni que 4,5 %, soit 54 millions d’euros. Loin, très loin derrière ! Conscients de cet enjeu, les acteurs de la French Tech sont tous habités par le « syndrome Sigfox », du nom de cette entreprise toulousaine qui a réalisé, en novembre 2016, une levée de fonds record de 150 millions d’euros, qui lui permettra d’accéder – peut-être – au statut envié de licorne française…

Dans la concurrence mondiale à laquelle se livrent les start-up pour attirer les fonds, la visibilité reste un atout essentiel. « Si vous êtes moyen partout, vous n’existez pas », tranche ainsi Christophe Béchu, maire d’Angers, ville qui a résolument misé sur les objets connectés pour développer son écosystème. Ainsi, en octobre, cette ville d’un peu plus de 150 000 habitants a accueilli le World Electronic Forum, « le ­Davos de l’électronique », comme s’enorgueillit Christophe Béchu, après Singapour et avant Beijing.

Chaque métropole s’efforce ainsi de cultiver une expertise spécifique qui fera la différence sur la grande scène mondiale

Chaque métropole s’efforce ainsi de cultiver une expertise spécifique qui fera la différence sur la grande scène mondiale : Grenoble met en avant la spé­cialisation de la région en électronique et micro-électronique, informatique et logiciels, et son important pôle de recherche pour « vendre » sa « French Tech in the Alps ». Mais parmi les start-up de la région, celle qui présente la croissance la plus dynamique, c’est Une Petite Mousse, qui propose la livraison d’un box de bières ­artisanales tous les mois ! Elle a quand même créé une petite vingtaine d’emplois.

A l’autre bout de la France, près de Brest, CHR Numérique a ­obtenu le Pass French Tech qui ­récompense les start-up les plus dynamiques. Son activité : créer des outils pour les restaurateurs et les hôteliers afin de leur permettre de piloter les normes d’hygiène, de traçabilité ou de maintenance. Avec, à la clé, une trentaine d’emplois.

* Lillle, Normandie, Rennes, Saint-Malo, Brest, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Aix-en-Provence, Marseille, Nice, Grenoble, Lyon, Paris.