Manger local ? « Je pensais que ça aurait été plus compliqué et plus cher »
Manger local ? « Je pensais que ça aurait été plus compliqué et plus cher »
Par Céline Mordant
L’alimentation en circuit court n’est plus marginale en France, elle gagne du terrain dans tous les milieux sociaux. Témoignages.
Récolte issue d’un jardin installé sur le toit d’un centre de tri postal à Paris par l’association Facteur graine. / CHARLES PLATIAU / REUTERS
Finis les pamplemousses de Floride, les haricots verts du Kenya, le Nutella… De nombreux Français ont fait le choix de manger local pour tout ou partie de leur alimentation. D’autant que les possibilités d’acheter en circuit court se sont beaucoup diversifiées, des « drives fermiers » aux sites spécialisés. Des locavores fraîchement convertis racontent ce que cela a changé dans leur quotidien.
Nicole, 66 ans, ancienne infirmière en bloc opératoire habitant à Anglet, dans les Pyrénées-Atlantiques, « mangeait n’importe quoi », beaucoup de plats préparés faute de temps. Désormais à la retraite, elle passe plus de temps en cuisine. Au marché, elle privilégie la production locale et s’alimente au rythme des saisons, même si parfois « c’est dur d’attendre les pommes et les kiwis du coin ». Fini le fromage du supermarché, elle ne mange que le brebis des stands du producteur de sa région avec qui elle aime bavarder. L’important pour elle est de « valoriser le patrimoine local » et se faire plaisir.
Qu’est-ce qu’un circuit court ?
Officiellement, la notion de circuit court est utilisée pour qualifier un mode de vente limitant le nombre d’intermédiaires (à un ou deux au maximum) mais ne retient pas de critère géographique (variable selon le lieu et les produits d’une trentaine à une centaine de kilomètres, selon l’Ademe). Sont concernés les produits vendus directement à la ferme, dans des marchés ou boutiques de producteurs, les paniers mis à disposition par les AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) ou par des sites spécialisés… De plus en plus d’acteurs de l’agroalimentaire, comme la grande distribution, se vantent de vendre en circuit court. Pourtant, un autre critère est fondamental aux yeux de nombreux spécialistes et défenseurs du manger local : le renforcement du lien social et « un partage plus équitable de la valeur ajoutée », insiste Yuna Chiffoleau, agronome et sociologue à l’INRA.
« Des produits plus frais et de meilleur goût »
Pour Yuna Chiffoleau, agronome et sociologue à l’INRA (Institut national de la recherche agronomique), coauteure de Et si on mangeait local ? (Quae, 2017), la motivation des locavores est essentiellement de « trouver des produits plus frais et de meilleur goût ».
Mehdi, 35 ans, fonctionnaire, était « très déçu de la qualité des fruits et légumes des supermarchés » : « de la flotte et de la peau », tranche-t-il. Il est membre d’une Amap (association pour le maintien d’une agriculture paysanne) depuis deux ans à Moret-sur-Loing, en Seine-et-Marne. Le quotidien des repas de cette famille originaire de la proche banlieue parisienne, qui a fait le choix de s’installer à la campagne pour améliorer sa qualité de vie, est désormais calé sur le calendrier des productions locales que l’on va chercher le vendredi soir et qu’il faut éplucher et cuisiner le week-end en prévision d’une semaine à l’emploi du temps bien chargé.
Cyril a, lui, « fait le virage il y a un an ». Aide à domicile dans un village de l’Isère, il vient de créer en parallèle une « ruche », c’est-à-dire qu’il centralise les achats pour les clients du site La ruche qui dit oui auprès de producteurs locaux. Les produits sont un peu plus chers – « la qualité, ça se paye » –, mais la famille mange aussi moins de viande. « De par mon métier, j’ai beaucoup de contacts avec les agriculteurs. De voir qu’ils s’en sortent mal, que les grandes surfaces prennent tout et qu’eux se battent pour vivre, tout cela m’a déterminé dans mon choix, sans compter les scandales alimentaires et les cas de cancer autour de moi… »
« Les producteurs ont fait des efforts pour diversifier leurs productions, pour développer les légumes oubliés », insiste Yuna Chiffoleau. / LOIC VENANCE / AFP
« L’achat malin, le bon plan »
« Pour beaucoup de gens, le circuit court c’est l’achat malin, le bon plan qu’on se transmet de bouche-à-oreille », explique l’agronome Yuna Chiffoleau. Sadia, enseignante à Créteil, n’achète sa viande qu’auprès d’un couple d’éleveurs de Lozère qu’elle a rencontré pendant ses vacances : « Nous passons commande et sommes livrés une fois par mois, le rapport qualité-prix est excellent et le producteur est vraiment aux petits soins ! » Le mois prochain, c’est une commande groupée avec les voisins qui est prévue.
« La question du prix reste un frein pour les non-acheteurs en circuit court », souligne la chercheuse Yuna Chiffoleau.
« Quand on compare le prix de fruits mûrs de saison et ceux de fruits conservés en chambre froide, évidemment, ce n’est pas la même chose… Il faut comparer des produits comparables : les produits en circuit court sont plutôt moins chers à qualité égale. Mais les gens qui n’ont pas accès à cette pédagogie, ne comprennent pas cette différence de prix : ils voient des prix plus élevés et se disent que ce n’est pas pour eux. En revanche, une fois que les consommateurs ont passé la barrière (qui est très forte), une fois qu’ils ont goûté, ils comprennent et ils sont convaincus. »
Comme Anne-Gaëlle, 32 ans, dans le marketing Web, à Bordeaux : « Je pensais que ça aurait été plus compliqué, que j’aurais été obligée de courir à plusieurs endroits, que ça aurait été plus cher, mais c’est finalement assez facile. » Elle fréquente les boutiques de producteurs locaux de son quartier et consacre une partie de son week-end à préparer des petits plats pour la semaine. « Ça m’a vraiment redonné le goût des légumes et l’envie de cuisiner au quotidien », explique-t-elle.
« Des légumes que je ne connaissais pas »
Pas question de passer à une alimentation plus frugale non plus pour Pauline, 25 ans, fille d’ouvrier agricole, fonctionnaire à Laon dans l’Aisne, qui voulait aussi « privilégier les produits de sa région » : « Avant, on ne savait pas trop quoi faire comme repas, ça nous a libérés », ouvert à d’autres recettes et produits, témoigne-t-elle. Pour elle, le déclic est venu avec l’ouverture d’un distributeur de fruits et légumes 24 heures sur 24 à proximité de son domicile, puis celui d’un drive fermier.
Boris, originaire de Strasbourg et déterminé à se nourrir bio et local, a eu plus de mal à trouver un système qui lui convenait lorsqu’il s’est installé à Creutzwald en Moselle il y a quatre ans. Il a été sauvé par l’arrivée d’une agricultrice bio sur le marché de la ville et lui achète désormais tous ses fruits et légumes quelles que soient les saisons. « En ce moment, c’est génial, on se régale avec les tomates, mais bientôt on va commencer à déchanter, il y aura moins de variétés, concède-t-il. L’hiver, c’est toujours un peu la même chose et il m’est arrivé d’acheter des légumes que je ne connaissais pas juste parce qu’ils étaient différents de l’ordinaire ! »
« Quand la cuisine est envahie par les potimarrons… c’est un esclavage ! », sourit aussi Ophélie en AMAP depuis quatorze ans à Paris, qui rit en se rappelant ces hivers où elle apportait courges et autre butternut chez ses amis à la place d’un bouquet de fleur pour écluser le stock familial. « Au début, les circuits courts, c’était pas drôle, ça l’est davantage. Les producteurs ont fait des efforts pour diversifier leurs productions, pour développer les légumes oubliés », insiste Yuna Chiffoleau.
Rejouer « chaque mois “La Traversée de Paris” »
Ludovic, gestionnaire de patrimoine à Meaux, qui ne savait pas que « la salade, à partir de novembre, il n’y en avait pas ! », s’est habitué sans problème à cuisiner l’oca, un tubercule originaire du Pérou et que cultive un agriculteur de sa région pendant l’hiver. Il a jeté son dévolu sur cette ferme pratiquant agroforesterie et semences paysannes après avoir écumé rapports et articles. « Nous y allons une fois par semaine pour faire le plein. Nous avons littéralement changé nos habitudes de consommation et alimentaires. Exit produits, boissons, gâteaux industriels. Nous consommons local et ne manquons de rien. » Grâce aussi à un certain sens de l’organisation. Le circuit des courses s’est allongé, « cinq boutiques le samedi matin », y compris pour le café et le chocolat : « C’est un peu plus contraignant, mais c’est aussi une sortie en famille. »
La convivialité, le rapport direct avec les agriculteurs… Mehdi « l’amapien » de Moret-sur-Loing ne renoncerait pour rien au monde à son rendez-vous du vendredi soir, lorsqu’il va chercher son panier et en profite pour rencontrer producteurs et voisins, « un moment agréable, contrairement au supermarché ! » Pour Ophélie, au contraire, les contraintes de « la logistique du dernier kilomètre » l’ont emporté : « J’en connais même qui transportent dix kilos de viande dans leur sac à dos dans le métro, bonjour la chaîne du froid ! »
François, ingénieur lyonnais de 42 ans, attristé par les difficultés des agriculteurs de son village d’origine, s’approvisionne désormais en viandes, œufs, légumes, céréales, fruits auprès d’eux. Quitte à rejouer « chaque mois La Traversée de Paris quand je retourne avec ma valise faire le plein à la campagne » : « Cela me permet d’allier l’utile à l’agréable et m’oblige à revenir voir la famille et déconnecter. »
Les circuits courts en chiffres
Un producteur sur 5 vend une partie de sa production en circuit court (recensement général agricole, 2012)
42 % des consommateurs français passent par les circuits courts, selon une enquête nationale menée en 2013 notamment par Yuna Chiffoleau, de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), dans le cadre du projet Codia sur les attentes des Français vis-à-vis des circuits courts.
6 % à 7 % des achats des Français se font en circuits courts selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).
70 % la part des achats alimentaires des Français en grandes et moyennes surfaces (source Nielsen Kantar), un chiffre en stagnation par rapport à la progression de l’e-commerce.
Le nombre de points de vente augmente : on recense en 2014-2015, 600 à 1 200 marchés de producteurs, 1 600 AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), 650 ruches, 250 magasins de producteurs, toujours selon l’Ademe.
Pour en savoir plus. Le site du ministère de l’agriculture recense les adresses pour manger local partout en France. Le site Bienvenue à la ferme pour acheter directement chez les producteurs (plus de 5 000 références).