TV – « Comancheria » : western noir dans un Texas en crise
TV - « Comancheria » : western noir dans un Texas en crise
Par Thomas Sotinel
Notre choix du soir. Le long-métrage de David Mackenzie puise dans le registre du film de cow-boys comme dans celui de gangsters
COMANCHERIA Bande Annonce VF (Chris Pine, Jeff Bridges - Thriller, 2016)
Durée : 02:33
La première scène de Comancheria, qui débute par un plan-séquence virtuose, montre un hold-up dans une petite ville que l’on dirait fantôme. Au petit matin, deux types encagoulés se saisissent de la caissière d’une succursale bancaire, rudoient le directeur, embarquent la petite monnaie (les liasses de billets neufs sont piégées) et s’enfuient sans faire trop de dégâts.
Tout ça sent son Robin des bois et, de fait, on apprend vite que Toby (Chris Pine) et Tanner (Ben Foster) ont élaboré un manuel éthique du braquage : ils ne s’en prennent qu’aux agences de la banque qui détient une hypothèque sur la ferme familiale, évitent de faire usage de leurs armes.
Côté hors-la-loi, donc, un duo classique : Toby est un garçon inquiet, introverti, qui a accompagné sa mère pendant son agonie, quitté sa femme et ses enfants, et n’a jamais pu payer la pension alimentaire. Chris Pine donne une version contemporaine du bandit. Tanner, lui, est un outlaw plus hédoniste. Mouton noir de la famille, repris de justice, il prend un plaisir manifeste à terroriser les braves gens et a un mal de chien à se conformer aux règles élaborées par son frère.
Toby (Chris Pine) et Tanner (Ben Foster) duo classique de hors-la-loi / Canal+
C’est d’autant plus regrettable qu’à leurs trousses s’est lancé un Texas Ranger au bord de la retraite, flanqué de son adjoint. Marcus Hamilton ne serait qu’un cliché – le flic désabusé, qui protège un ordre auquel il ne croit plus – s’il n’avait la chance d’être joué par Jeff Bridges. Voilà presque un demi-siècle (depuis La Dernière Séance) que l’acteur hante le Texas, il fait partie du paysage. Ici, le scénario de Taylor Sheridan en fait un veuf (bien sûr) qui s’amuse à provoquer son impassible adjoint comanche par des volées d’insultes. On est au bord du cliché, le Lone Ranger et Tonto ne sont pas loin, mais Bridges parvient à préserver la possibilité de l’amitié entre Marcus Hamilton et Alberto Parker (Gil Birmingham).
Nourri de Cormac McCarthy
Pendant que les deux frères s’échinent à voler assez d’argent pour empêcher à temps la saisie de la ferme, parcourant toute la région dans de grosses voitures volées qu’ils enterrent ensuite à l’aide d’un bulldozer – c’est l’un des charmes de Comancheria que de tirer tous les partis possibles de l’immensité du territoire –, le Ranger prévoit chacun de leurs coups et les force à l’erreur. Ce qui, dans cette région du monde, implique le recours à la violence.
Comancheria prend un tour tragique, le western se mue en film noir. Les armes qui surgissent au poing des braqueurs, mais aussi de tous les passants, la constitution d’un « posse » (équipe renforcée autour du shérif) qui se lance aux trousses des hors-la-loi, tout tend à montrer que ce pays, construit dans le sang (des Comanches, des Mexicains, des pionniers...), ne peut vivre que dans la violence. Le scénariste a accumulé ici une dette à l’égard de Cormac McCarthy. Du romancier adapté par les frères Coen, il a conservé la perspective historique. Il lui a même emprunté la figure du policier, qui pourrait être le jumeau du shérif qu’incarnait Tommy Lee Jones dans No Country for Old Men.
Aux sources du cinéma
Mais plus encore que de littérature, le film de David Mackenzie se nourrit de l’histoire du cinéma. L’affrontement final – un homme seul tient en respect une horde de poursuivants – renvoie aussi bien au western qu’au film de gangsters (ce n’est pas le moindre des mérites de Comancheria que de donner envie de revoir La Grande Evasion, de Raoul Walsh), avec un léger décalage, peut-être dû au fait que le réalisateur vient de Glasgow.
C’est peut-être cette expérience de la déchéance d’une ville qui lui permet d’inscrire aussi naturellement cette histoire déjà vue et entendue dans l’ultime strate du paysage texan : celle laissée par le retrait de la prospérité, faite de fermes abandonnées et d’usines fermées, de villes désertées et de champs en jachère.
Comancheria, de David Mackenzie. Avec Chris Pine, Ben Foster, Jeff Bridges, Gil Birmingham (EU, 2016, 100 mn).